FONDATION GELLIPANE

PROGRAMMATION

 

 

 

" PORTAIT POUR TRAIT "
ARTISTE : MINOIS
GENRE : impossible
EXPOSITION n° 55

.

 

 

 

Il est des idées qui paraissent folles ou en contradiction avec la raison et le " bon " sens qui est le plus souvent unique.
Le projet de Geoffray Minois est de ce genre, c'est à dire qu'il est simplement e-éalisable, mieux, il l'est même de moins en moins au fil du temps.
Expliquons-nous car c'est mieux pour tout le monde intelligent !
Minois a conçut l'idée bizarre* de faire le portrait de tous ses contemporains ; pour les autres, c'est déja trop tard.
Fasciné par la diversité des visages qu'il croise et qui l'environne, et surtout révolté (intérieurement, bien sûr car extérieurement il est normal) par leur inéluctable et future disparition, il souhaite fixer et conserver leurs traits.

Un panneau de Minois.

Pourquoi ?
Pour rien ou parce qu'il faut bien essayer de faire quelque chose contre.

* bizarre : c'est presque un pléonasme ou pire, une redondance ; l'artiste a des idées bizarres comme l'oiseau a des plumes ou le poisson des écailles, c'est dans sa nature (et dans sa fonction).

Alors il travaille comme un forcené, " enregistrant " les têtes qui défilent et se succèdent, sachant bien (car il n'est pas idiot) que c'est complètement impossible vu le rythme soutenu de notre natalité ; heureusement que nous ne sommes pas des souris même s'il sourit parfois faiblement entre deux visages.

Gentils, méchants, riches ou pauvres, forts ou faibles, tout le monde y passe.

Le résultat de cette activité désespérée et désespérante, nous le voyons (en partie, bien sûr) accroché aux cimaises de la Fondation Gellipane pour la nommer encore et encore, va !
C'est aussi terrifiant qu'émouvant et une curieuse émotion nous saisit, du même ordre que celle de Robinson découvrant sur le sable de la plage après des années de solitude absolue une empreinte de pied et des traces avérées de cannibalisme.

Geoffray interrompt le travail quelques secondes pour la photo.

Joie immense et sourde inquiétude, c'est notre lot, en tout cas celui de Geoffray Minois.
Regardez bien les panneaux, vous y figurez peut-être.
" Quand on se cherche, on se trouve ! "
C'est du moins se qu'affirme notre toujours affairé physionomiste.

Le vernissage était une vraie tuerie, la Fondation était pleine comme un oeuf, beaucoup était là dans l'espoir de se reconnaître.

Soudain le directeur blémit en regardant vers l'entrée :
" Damned, une descente des Affaires Culturelles, nous voilà frais ! "

A et C des Affaires Culturelles

Deux sbires de la N.B.A (Nouvelle Bureaucratie Artistique) encadraient la porte pour laisser entrer un troisième personnage fort élégant.
" Contrôle surprise ! " annonça le nouvel arrivant.
" Oh la la, ils nous ont envoyé leur meilleur agent, nous sommes peldus (pardon, perdus)! " gémit Guy Molet au bord de la crise de nerfs.
" Avec son Q.I, on est vraiments cuits ! " se lamentait Miss Clitorini.

Le fameux agent Vil de Lyon ;
il ne lâche rien, surtout pas le crachoir.

Vil de Lyon, car c'était bien lui, s'approcha nonchalament du pauvre Minois et demanda d'un coup :
" Qu'est-ce que vous pensez de Marcel Duchamp ? "
C'était une question-piège, Minois le savait mais il se troubla, n'ayant pas l'habitude d'être " cuisiné " ainsi.
Par un fait-exprès, il avait oublié son joker dans la maison vide.

L'interrogatoire

 

Octabe des Obres sauva la situation :
" Etant donné le gaz d'éclairage ... " commença t'il pour faire diversion.
Vil de Lyon le fusilla du regard :
" Ce n'est pas vous que j'interroge ! " répliqua t'il, puis se retournant (avec un clin d'oeil complice) vers Geoffray :
" Franchement vous, Vous préférez quoi : le fond ou la forme ?
Vous pouvez bien me le dire à moi .
"

Minois paniquait, il fallait le tirer de ce mauvais pas car l'inquisition se poursuivait :
" Cher ami, si on vous dit " post-moderne " comme ça, pour rire, vous pensez à quoi ? Ou à qui ? Vous avez aussi le droit de ne penser à rien, ce qui semble être le cas ... "

Notre artiste transpire, lève les yeux au ciel, il va craquer, le directeur intervient pour faire cesser le feu roulant des questions d'esthétique.
Il prend Vil de Lyon par les épaules et le raccompagne doucement mais fermement vers la sortie ; non sans lui glisser dans la poche ventrale la petite enveloppe habituelle.
" Pour vos bonnes oeuvres ! "
Avant de quitter la salle, l'agent culturel lança une derniére pique.
" Vous ne m'avez toujours pas dit, Minois, ça (il montre l'exposition), c'est de l'art ou du cochon ? Ah, ah, ah, ah, ah, ah ... "
Son rire hystérique retentit longtemps dans le couloir.

Pendant ce temps, les hommes de la N.B.A procédaient à un rapide contrôle d'identité des peintures.

 

 
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