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PIERRETTE
PAS DU TOUT
Le 8 mai à Chabosse
Rubrique
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Ma vie à deux
(extraits)
Ma vie à
deux est un enfer très doux.
Je devrais peut-être essayer - Ma vie à trois -
Bertrand :
" Camille* n'a personne.
Ses parents sont morts il y a longtemps et sa tante vit à l'étranger.
J'ignore son adresse. " Pierrette :
" Je ne veux plus t'écouter ! "
L'indiscrète motorisée en fourrure :
" Il paraît que c'est grave. "
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N'étant pas un
habitué des expériences mystiques, Bertrand mit quelques heures pour s'en
remettre en selle, quitter Larresinge et sa blancheur afin d'aller à Chabosse
où il n'avait strictement rien à faire.
Et c'est bien pour cela qu'il s'y rendait.
Il arriva pile-poil pour manger un morceau.
De quoi ?
Mystère.
En retournant à son véhicule après déjeuner le garçon eut une bien mauvaise
surprise, ses quatre pneus étaient crevés et un grand P était tracé en
rouge sur chacune des portières. .
Comme toute atteinte à la sacro-sainte propriété, cette découverte le
mit en colère, mais surtout l'inquiéta beaucoup : l'incroyable Pierrette
avait donc retrouvé sa trace !
Un petit mot pas doux du tout lui donnait rendez-vous en fin d'après-midi
dans un square mal fréquenté de Chabosse.
Il décida de s'y rendre, peu rassuré mais avec l'envie d'en finir avec
cette histoire où il n'arrivait décidément pas à avoir le beau rôle, comme
au cinéma.
Avant il lui fallait
se préparer pour cette entrevue qui promettait, vu le tempérament passionné
de la jeune femme, d'être volcanique voire apocalyptique.
Il ne pouvait laisser son automobile dans cet état, on l'emmènerait à
la casse ... comme lui bientôt, snif !
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Leur commune et implacable destinée les rapprochait, Bertrand embrassa
donc sa voiture, puis il ajouta une boucle aux quatre P ce qui donnait
maintenant quatre B pouvant ressembler de loin à une maladroite
sérigraphie publicitaire : " B.B.B.B ?
Bons Baisers (de) Berlin Brunehilde, par exemple ?
Ou pire - Bonne - Branlée - Blanc - Biquet - l'important c'est d'avoir
un message, même angoissé. "
Après il s'équipa pour
l'explosive rencontre.
La minutieuse
préparation.
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Lapin.Blanc.Rapide
se coiffa d'abord d'un casque de moto (pas facile à enfiler avec ses grandes
oreilles !) puis s'attacha sur le corps diverses pièces d'électro-ménager
et une batterie de cuisine complète qu'il acheta d'occasion (et pour l'occasion
car il ne cuisine jamais).
Il y ajouta divers rembourrages aux endroits sensibles, il en mit une
triple épaisseur pour ses précieuses parties parfois communes.
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Assembler sa panoplie
improvisée lui prit tout l'après-midi mais à l'heure prévue il était
fin prêt et ressortait complètement blindé dans Chabosse assoupie.
Le trajet jusqu'au lieu du fatal rendez-vous fût pénible car il
avait beaucoup trop chaud et transpirait abondamment sous son armure
de confection.
Il avançait à l'aveugle
ne voyant pas très bien où il allait de ce pas hésitant.
Droit dans le mur
en fait.
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Les enfants montraient
du doigt en riant ce pataud chevalier à pied, il eut toutes les
peines du monde à les empêcher de le suivre en un bruyant et joyeux
cortège.
Ce n'était pas le moment de faire l'enchanteur.
Autant jouer du pipeau avec des gants de boxe !
Il valait beaucoup mieux
regarder où il mettait les pieds ; plus que tout, le garçon redoutait
les trottoirs sournois ... trop tard !
Les vieillards s'inquietaient, croyant à une nouvelle catastrophe
nucléaire ; Bertrand leur faisait de petits signes de ses mains
gantées pour les rassurer.
" C'est pour la dératisation ! " criait-il, mais à l'extérieur on
ne comprenait pas ce qu'il disait, tant sa carapace était étanche.
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Une invasion
de l'espace ou une évasion d'espèce menacée ?
Marcher
sur la tête servira à sa discrètion, raisonne t'il faiblement, persuadé
qu'il est depuis sa préhistorique scolarité que plus par plus, ça
fait moins.
Vu que moins
par moins, ça fait plus.
Impossible de l'en faire
démordre - GRRRR ! - un affreux molosse retroussait ses babines
luisantes en le fixant.
Il se transforma immédiatement en rigide lampadaire et en subit
le triste sort.
Le soupçonneux chien s'éloigne, le garçon est tout mouillé.
Mais toujours décidé.
Bertrand essaye autant que
possible d'éviter la redoutable patrouille à roulettes qui ne manquerait
pas de lui poser des questions.
Et tout ça était trop long à expliquer, surtout à un gendarme. |
Bref, et malgré son appréhension, il était content d'arriver enfin sur
place, au lieu prévu de son amoureux sacrifice.
Pierrette l'attendait
le pied ferme, au pied de la statue du Chat Botté*, elle avait beaucoup
maigri et ses yeux lançaient des éclairs vengeurs.
* Botté : Chabosse
étant le lieu de naissance du servile matou, ça ne s'invente pas.
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Il n'y eut pas de négociations,
ni même d'explications, après une effroyable volée d'insultes,
la demoiselle se précipita sur Bertrand en tenant à deux mains
un de ses phalliques totems.
Le garçon avait décidé de ne pas se défendre et ce pour plusieurs
raisons : la première étant qu'il avait bien mal agi avec la et
qu'il comprenait sa colère (merci Sainte Nitouche !) ; la deuxième
tenait à sa radicale non-violence qui le rendait incapable de
lever la main sur un autre, encore moins sur une autre.
De plus, avec son armure
il ne pouvait pratiquement pas bouger (même une oreille).
Peut-être un petit doigt, si on lui permettait.
Mais il se sentait suffisamment matelassé pour supporter le choc.
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Ou plutôt les chocs car la fille y alla de bon coeur et sans ses diverse
protections Bertrand se serait trouvé fort mal en point.
Imitant la stratègie de nombreux animaux, il fit le mort ce qui eut pour
effet d'apaiser enfin la furie vengeresse de Pierrette qui finit par lâcher
son phallique gourdin et s'en aller, soulagée peut-être, triste sûrement.
Que pouvait-il y faire ?
Bertrand s'était
depuis longtemps persuadé qu'il ferait le malheur de toutes celles qui
voudrait partager son existence, ainsi quand il les quittait, les fuyait
ou les abandonnait, avait-il le sentiment de faire une bonne action.
En leur évitant d'inévitables souffrances futures.
Il enleva difficilement son casque, ses oreilles étaient pliées, et elles
sifflaient, en permanence.
Les femmes ainsi épargnées auraient pu le remercier pour son altruisme
mais ces ingrates le faisaient rarement.
Elles disparaissaient alors simplement de sa somnambulique existence.
Le garçon avait déjà rendu son âme au créateur qui d'un haussement d'épaule
un peu méprisant lui avait fait comprendre qu'il n'en voulait pas encore.
Alors il ressuscita très normalement et se releva d'entre les crottes
de chien avec seulement quelques hématomes.
La résurection
Le vilain
tour était joué, il se défit avec mille difficultés de ses diverses
protections si solidement assemblées.
Un ou deux
pansements habilement disposés ajouteraient encore à son mystère
qui s'écaillait par endroits.
Et à son charme, du moins Bertrand l'espérait toukours.
Il s'en alla en se massant les reins, dans le petit square les oiseaux
s'étaient tus, surpris de cette passionnelle violence.
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Quand il retrouva
sa voiture, ce n'était plus qu'une épave calcinée ... avec toutes ses
affaires à l'intérieur ; et tout un attroupement à l'extérieur qui commentait
en direct.
Bertrand était évidemment bien emmerdé, mais surtout il ne comprenait
pas.
Cela ne ressemblait pas à Pierrette de s'acharner sur un tas de tôle ...ce
devait être autre chose ...
Un mystérieux groupe
anti-B* ?
* anti- B :
Les Toubifrits en sont un bon exemple ; mais c'était une cinq portes.
Ou du simple et
banal vandalisme quotidien ?
Il pourrait alors entonner l'éternelle et triste mélopée de la victime
:
" Pourquoi moi ? "
" Et pourquoi pas moi ! " se dit finalement Bertrand en regardant faire,
en connaisseur, les extincteurs casqués.
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Cette fois,
tout était consommé, et consumé pour plus de précautions.
En effet, dans les bribes de conversations perçues par le garçon,
il était toujours question d'une mystérieuse armée d'envahisseurs
en scaphandre qui erraient dans la ville, on avait même vu les fameuses
soucoupes voler.
Ainsi que des dessous de plats et des théières.
Il préféra s'éloigner, cette fois-ci, il ne lui restait plus que sa
carte d'identité*.
Et sa bonne mine chabossée. |
* identité
: Cette identité qui commençait (suite à ses nombreuses usurpations) à
lui poser quelques problèmes du genre : qui était-il ?
D'où venait-il ?
Et surtout, où allait-il ?
Alors ça ...
Quand il se sentait hésiter, Bertrand regardait vite sa carte citoyenne.
De l'autre côté
de la rue, il y avait un arrêt de bus avec des horaires affichés, le garçon
ne connaissait aucune des champêtres destinations indiquées.
Il prendrait donc le premier car qui voudrait bien passer devant lui,
le prochain était sensé aller jusqu'à Sarlatte-Ladérida.
" Joli nom ! " Ce serait sa prochaine étape.
Réflexions
croisées
Pierrette étant
partie et Bertrand trop mal en point pour parler, les réflexions croisées
du jour seront celles du Chat Botté avec les statues voisines.
Le malin matou commence en se lissant les moustaches :
" Dis donc Brunehilde*,
tu as vu ce qu'elle lui a mis la petite en salopette ? "
" Bien fait, on ne doit pas se moquer des sentments des autres ! " répondit
la gentille " vache qui rit " ainsi que la surnomme les enfants qui la
chevauchent à tour de rôle.
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* Brunehilde
: Affreuse sculpture cubo-tartiflette du type à trous multiples.
Elles prolifèrent
et envahissent petit à petit les jardins publics dont on se demande
ce qu'ils ont fait pour mériter ça. |
" Si la donzelle
aime les gourdins j'ai ce qui lui faut ! " s'écria Hercules toujours prêt
à défoncer le monde entier, après le monde antique.
Du coup ses travaux n'avancent pas.
Une timide voix intervint de derrière un ginkgo récemment importé :
" Les histoires d'amour finissent mal .. en général. "
C'était le fameux " Penseur " qui était descendu un instant de son piédestal
de pierre pour se soulager*.
* soulager
: Le ventre mou, depuis le temps qu'il demande à être assis sur un vrai
W.C !
Ce n'est pas de
sa faute s'il a des problèmes digestifs ; nécessité faisant loi, les frais
bosquets sont pleins de ses petites crottes de bronze.
Les nymphes accourrues
et toutes excitées y vont de leurs juvéniles et acides commentaires :
" C'était pour le tournage d'un film, tu crois ? "
" Non, c'est pour la méridionale et cigalesque série " Poubellavie " :
le gars y faisait le scaphandrier dans les calanques, trop bien, il plongeait
pour délivrer sa belle-soeur* retenue en otage par une vilaine méduse
qui convoite son magasin en plein centre-ville ... "
* belle-soeur
: Avec qui il avait eu une brève aventure en Birmanie l'été précédent,
toujours en scaphandre, mais autonome.
" Est-ce parce
qu'ils sont poilus qu'ils ont tant de succès ? " se demandent les
éphèbes de bronze. |
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" Et comment
finit cette belle romance au pistou ? "
" Super mâle, le plongeur devient lesbien et se sauve avec la méduse ...
"
" C'est triste ... mais la fille joue drôlement bien, on croirait vraiment
qu'elle est en colère ... "
" Tout ça c'est du cinéma les enfants ... " conclut le chat en s'étirant
avant d'enfin enlever ses bottes.
Tout le monde s'évanouit.
" Vous n'allez pas croire en de pareilles fantaisies ? ...
Si !
Je m'en doutais, rien que pour ça je vous ai apporté des romans-photos*
! "
" Ouais, vive le chat botté ! " crièrent en choeur de bronze les nymphettes
en se bouchant le nez.
Le rusé félin distribue
les illustrés qu'il sort de sous son socle.
" Au moins on aura la paix pendant un moment ... "
Le square est redevenu silencieux, on n'entend plus que le bruit des pages
qui se tournent.
Et quelques flatulences attardées du penseur.
Spécimens
Un bon roman-photo
ne résiste pas à l'analyse, testez-le vous même !
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- Tu es
sorti avec elle, alors.
- Qu'est-ce qui te prend ?
- Marc n'a plus mal au dent.
- Tu as refusé par orgueil, je suppose.
Sinon tu aurais accepté volontiers.
M : Bravo, comment as-tu deviné ?
Cette réponse moraliste de la part de Marc les étonne.
- Enfin, Marc !
Guy et moi, on dort bien ensemble chez toi pourtant !
M : Dans quel but ?
- Laissez-le tranquille.
Ce matin, Marc est de mauvaise humeur, vous ne l'auriez pas remarqué
?
- A force de rester seul, tu vas devebir acariâtre comme un vieux
garçon.
Trouve-toi une fille.
M : Moi ?! Pas du tout !
- Je suis d'accord avec toi.
- Qu'en dis-tu de celle là.
- Oui. J'aime rêver et je ne tiens pas à ce que les beaux rêves
se concrétisent rapidement.
M : Arrête, Guy !
- A Sandy aussi ?
- Tu l'as bien regardée ?
Pas mal du tout la fille ... ça fait plusieurs jours que je l'ai
remarquée.
- Maintenant que j'y pense, Sandy et toi, vous êtes faits l'un pour
l'autre.
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* romans-photos
: C'est la littérature préférée du Lapin.Blanc.Rapide, il le jure
à qui veut l'entendre (et aux autres) : rien ne se rapproche plus
du réel.
Pour lui, la vie est un grand roman-photo composite où tout le monde
raconte son histoire en même temps.
Dans cette
confusion généralisée on ne s'écoute pas vraiment et on ne s'entend
pas toujours.
Ces malentendus constants sont les principaux éléments du futur mélange
explosif et dans bien des cas, ils en seront le détonateur. |
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Aperçus
A Chabosse,
roulez carosse
Avec mes potes
De sept lieux différents.
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