RACHEL
Le 12 mai à Langond

 

Cette année l'ouverture de la chasse à la femme a été avancée d'un semaine (par décision* préfectorale).

* décision : Sans compter les effets du lobby cynégétique, toujours très actif.
Du coup Bertrand a pris son permis (car il a décidé d'être maintenant en rêgle avec la loi).

Mais il ne met pas la tenue verte fluo (on a sa fierté !), il se tient à l'affût :
" Là, une bien potelée ... "
" Où ça ? "
- Pan - Pan -
" encore raté ... Il faut crier poule ! "

Bertrand baillait à s'en décrocher le lobe frontal, les " Schéhérazzade Sisters " l'avaient tenu (agréablement) éveillé pendant 6 heures (et 5 minutes).
Avant d'éclater, de splitter pourrait-on dire :
Poc - poc - poc - poc - poc -poc - poc
Dans l'ordre inverse de leur apparition.

" Revenez quand vous voulez ! " cria le garçon à la dernière bayadère en activité juste avant qu'elle ne s'éclate.
" Je vous laisse volontiers le choix dans la date ... ou dans la datte si vous préférez. "
Il en était à son troisième grand café et ses yeux ne s'ouvraient toujours pas sur la réalité.
A la table voisine deux parachutistes yankees couverts de peintures de guerre noires buvaient des bières en compagnie d'une section de grenadiers à manches courtes teutons, déjà verts de gris.
On avait échangé les casques, ce qui est un signe de bonne humeur.

Il ne manquait que l'invincible* armée locale pour être au complet.
D'ailleurs, la voila.
* invincible : Sa tactique est imparable : la retraite anticipée.

Il y avait des flingues partout et des couilles de tous les dalibres jonchaient le sol.
" C'est quand même bien quand la guerre est finie ! " se dit le pacifique garçon.
C'était sa première pensée du jour, elle était positive, bravo Bertrand !
Sa deuxième pensée (et les suivantes) furent pour les cuisses rondes d'une super-résistante* qui lui faisait fesse (pardon, face).
Bertrand la reconnut, c'était une starlette* et il avait son hum-hum sur le bout de la langue.
Il se leva pour se détendre.

* résistante : on les reconnaît à leurs mignonnes chaussettes.

* starlette : Et ça me revient toujours, il s'agit de Sophie Marteaux bien sûr, on se souvient d'elle dans " La bicyclette rouge " ou elle était communiste, pour le cinéma.
On se souvient surtout de ses seins jaillissants au moment où elle se penche au dessus des rails pour faire sauter les trains (sans se faire sauter elle même, un difficile exercice).
Dans les scènes d'amour Sophie démarrait toujours, mais son prudent partenaire Pierre freinait, inexplicablement.


A Langond, c'est le grand embouteillage.

Tandis que Charles traînait avec des zazous jusqu'au couvre-feu tricolore.
Peut-être les effets du rationnement ?
A l'arrière de la traction-avant, Simone s'ignorait en fumant avec nonchalance ... elle raccrochait son porte-jarretelles, se torturant toute seule.
Allait-elle trahir par amour, pour l'argent, ou simplement pour le plaisir ?
En tout cas, au centre de Langond on se serait vraiment cru revenu soixante ans en arrière.
Soit une période de l'histoire récente que nous aimons à caresser dans le bon sens du poil.
Les façades des maisons étaient recouvertes des habituelles svastikas géantes et on avait beaucoup de mal à circuler entre les tractions à vents*, les chevaux de frise, les jeeps étoilées et les automitrailleuses en carton.

* à vent : Précurseur de nos véhicules écologiques, la traction à vent fonctionnait en pétant dans le réservoir, c'était écologique mais peu pratique (voir gazogènes).

Une tour de la Pavart-Davieu en trompe-l'oeil complétalt l'illusion.
Sans peur de l'anachronisme.
Marcel réincarné, le réalisateur courait en tout sens.
Depuis le matin, on était en plein tournage du soixante-treizième épisode de la saga la plus résistante qui soit :
" Les purations de Lyon ".
Tout le monde était, disons-le, très occupé et on avait mis le traditionnel manteau de cuir noir, le chapeau mou ou le casque dur, malgré la chaleur.
Entre deux explosions ou alertes bidons, on criait :
" Achtoungue, papirre, picyclette et pompafélo ! " bref, c'était la bonne ambiance.
Que faisait donc Lapin.Blanc.Rapide dans ce lieu guerrier lui qui a en horreur (et pour cause) le moindre coup* de fusil ?

* coups : Les coups qu'ils préfèrent ne font pas tant de bruit, juste quelques grincements rythmés.
Quand aux cris, cela dépend des fois, surtout du lapin, et bien sûr de la lapine.

Etait-il là pour faire du cinéma ?
En partie oui, ce que voulait Bertrand s'était approcher, même un court instant, la vedette féminine de la série, l'incroyable Rachel Menu dont les regards de baise (pardon, de braise) avait allumé le feu dans son coeur de mammifère sentimental.
Il voulut se faire engager comme figurant et comme les choses vont vite dans cet univers merveilleux, il se retrouva propulsé au rang de collaborateur après seulement quelques minutes.

D'abord : Séance photo

 

Présentation des acteurs : de gauche à droite Rachel, Loulou, Fifi ; Bertrand (Riri) est un peu vexé, il a un plus petit rôle que la bicyclette.


A part ça c'était un job vraiment tranquille qui consistait à écouter indiscrètement toutes les conversations en levant par intermittence le bras droit, bien droit (les producteurs y tenaient beaucoup).
" Déjà ! " se réjouissait-il un peu trop vite.
Il aurait été vraiment de tout repos sans un certain Fifi* qui, de derrière son béret, le harcelait sans cesse avec sa baguette même en dehors du plateau.
Par amour pour Rachel, Bertrand était prêt à tout supporter.

* Fifi : C'est marqué en gros sur son brassard, le rôle de Fifi dans cette histoire est complexe voire incompréhensible, idéologiquement s'entend, disons qu'il mange à tout les rateliers en attendant de voir d'où vient le vent.
Emile gratton (alias Denion de Lyon) y donne toute la mesure de son immense ... ah, chut ! le tournage va reprendre.

" Moteur ...on tourne ! "
Nous en sommes au moment crucial où Rachel (nom de code " Foufoune " dans la résistance) a donné rendez-vous à Jean Mouldeu (dit Loulou) dans une planque pour établir des contacts.
Ce n'est pas pour ce que vous pensez (tout de suite !), la bagatelle devra encore attendre le jour J, il s'agit de démasquer un traître au réseau*, une taupe néfaste et invisible.

* réseau : Le fameux réseau " Fesse-Bouc " né de l'improbable fusion des réseaux " Fesse " (les deux ? ) et " Bouc " (le vieux ?).

Séquence émotion :

 

Loulou s'éloigne, Rachel est déstabilisée, Fifi en profite. L'ambiance n'est pas bonne. .

Loulou n'arrivera jamais au rendez-vous car il est resté coincé dans les embouteillages du débarquement, à sa place réservée, c'est Fifi qui débarque.
Il embarque Rachel pour vérifications, c'est ce qu'il dit mais nous n'en croyons rien, et Rachel, fine mouche, non plus.
" Foufoune ne parlera pas, mais il faut la délivrer des mains avides et velues de Fifi ! " décide Bertrand-Riri, il traverse la place en levant bien haut le bras, comme on lui a demander de le faire.
Curieusement l'atmosphère plutôt joyeuse jusque là, tout le monde faisant la farandole en s'embrassant à pleine bouche, vire d'un coup au grave, puis au sinistre.
Les gens se mettent à insulter Bertrand, à lui cracher dessus, et même, à lui mettre de grandes claques voire des gnons de Lyon, et Fifi n'est pas le dernier.
" Ce n'est pas ainsi qu'on traître (pardon, qu'on traite) un collaborateur ! " proteste le garçon.
En vain, car son lapsus l'a perdu.

" Riri, on aura ta peau ! " crie la foule, et Riri, c'est lui, enfin au cinéma.


" Un mauvais quart d'heure n'est pas vite passé ... " constate Bertrand, qui essaie pourtant de positiver, vaille que vaille :
" Quelle expérience enrichissante, aie -aie ! (zig ? ), pas sur la tête ! "

" Action ! "

 

A cet instant, Fifi passe en traînant Rachel par les cheveux pour l'emmener à tout prix chez le coiffeur.
Alors qu'elle n'en a pas besoin, ses accroche-coeurs sont bien en place.

Le faux Riri (mais toujours vrai Lapin.Blanc.Rapide) bondit au secours de la belle, il casse sa baguette sur la tête à Fifi qui l'a bien mérité et, malgré ses professionnelles protestations, il emmène Rachel Menu sur le porte-bagage de sa bicyclette bleue.
Pour mettre toutes les chances de leur côté, Riri a pensé aux pinces à vélo.
Cette fois tout le monde les poursuit, comédiens, curieux, techniciens, les allemands aussi qui interrompent poliment leur déroute pour courir après*eux.

* après :" Sus " dirait-on en vieux français ; une note intéressante, je lui mettrais bien 5/5.
A Rachel aussi, c'est effectivement une très bonne note, merci.

Premières difficultés

 

Le pneu arrière se dégonfle, Rachel s'assoit sur le guidon.
Une main posée sur la poignée en caoutchoux, une main posée sur Rachel (s'il pose les deux c'est trop dangereux) le garçon pédale, et pédale encore ...

 


Mais il ne freine jamais.
Il chantonne stupidement :
" A bicyclette ... " (de mon temps on chantait autre chose !).
Les vieux pavés leur tapent cruellement le cul mais ça ne fait rien, ils sont très résistants.
" Surtout Rachel que j'aime ... " murmure admiratif le nouveau sprinter qui ne voit plus la chaussée à cause des fins cheveux de l'actrice qu'il a dans la figure.
Il ne dit rien car c'est agréable.

 

Les secousses (et la vitesse) ont fait remonter la robe de la jeune fille, un instant le silence se fait ... et puis tout redémarre.

Tel un carosse doré (à deux roues), la bécane traverse comme une flêche la place de la Mairie semblant à peine toucher le sol inégal.
Sur le vieux vélo, Bertrand et Rachel filent à travers les ruelles de Langond, ivre de bonheur et de liberté, le garçon donne de petits coups de sonnette aigrelets :
" Dring, dring, dring ... bon sang, une montée, nous sommes perdus ! "

Une situation délicate.

Une providentielle rangée de sacs de sable s'aligne sur la gauche, ils sautent prestement dans le doux nid de mitrailleuses lourdes.
Emmenée par Fifi, la foule en colère passe devant leur blockhaus avant de disparaître au coin de la rue Ouffe.
Rachel et Bertrand peuvent enfin s'aimer tranquillement derrière les salvateurs barbelés, entre les morceaux de sandwichs au rutabaga-salsifis* et les couilles usagées (pardon, les douilles), vides.

* rutabaga-salsifis : Le fameux plat de résistance.
Quand au rut à Baga (Indonésie) attendons la fin des Trente Glorieuses pour prendre les charters.

" Quel bazooka !* " commente simplement Rachel qui s'y connait en armes lourdes de destructions massives.

* bazooka : On peut toujours faire mieux, mais c'est plus cher.

" Et presque sans recul ! " répond le garçon en continuant de nettoyer son instrument.
" Tirons juste un coup, pour voir ! " suggére la jeune fille.
" Ne gaspillons pas les munitions, nous risquons d'en avoir bientôt besoin ... "

Riri jeta un coup d'oeil inquiet (et quelques grenades à manche) derrière le parapet.
En bas on entendait cliqueter les premières chenilles processionnaires.

Une question (facile !) pour finir avant l'assaut très éminent :
pourquoi les garçons aiment mieux la guerre que les filles ?

C'était idiot d'attendre l'assaut imminent juste pour se faire écrabouiller, Bertrand n'avait pas l'intention de résister jusqu'au dernier (ni même jusqu'au premier).
Encore moins jusqu'au rez-de-chaussée, il décida donc d'abandonner sa position, et aussi Rachel (à la guerre comme à la guerre) puisqu'elle était sauvée.
La comédienne se précipita pour rejoindre l'équipe du tournage afin de tout (?) leur raconter : comme quoi Riri l'avait enlevée car il ne pouvait résister à son extraordinaire beauté, qu'il l'avait posée sur son guidon (si, si !) et qu'elle s'était délivrée de ses liens serrés en coupant la ficelle avec ses dents.

Mais qu'elle ne pouvait pas révéler (pas tout de suite) ce que ce coco-labo rateur lui avait fait, surtout pas à des journalistes ...
Rachel rougit, l'éclairage avait changé.
" Coupez ! C'est dans la boite, merci à tous, Rachel tu étais merveilleuse ! "
Rachel blémit : " Seulement merveilleuse ? "

Réflexions croisées

Rachel :
" Vous devriez faire du cinéma, mon Riri au lait ! "

Riri (alias W.S.R) :
" C'est marrant.
Demain, quand on commencera à tourner, on sera plus vieux, le cinéma est marrant ... "

Il restait à Riri sa bicyclette, un tube de lait concentré sucré et une expérience cinématographique tout fraîche.
C'était suffisant pour aller jusqu'à Saint-Chavin, par petites étapes car le soleil était au rendez-vous.
Il enfourcha la bécane.

" Stop ! On va la refaire ? "
Marcel Réincarné intervient :
" Riri, mets-y un peu d'intensité, qu'on puisse croire à ton personnage, tu n'es pas amoureux de ta bicyclette ... pas encore.
Par contre, tu peux baisser le bras maintenant ! "

Bertrand déteste répéter vue qu'il ne peut que se reproduire à l'identique, seulement être son propre personnage.
Mais l'autre intrusif insiste.
Et il nous chauffe Marcel :
" Rajoutez de la poussière dans le fond ... et virez l'automitrailleuse !
Riri, ne souris pas tant, rappelle-toi que tu n'es pas quelqu'un de sympathique.
Tout le monde est en place ?
Silence, on tourne ! "
La page.

Aperçus

A Langond allongé je résiste
A l'ennui d'abord
A l'envie ensuite de quoi ...

 

 

 
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