PIERRETTE ENCORE
Le 17 avril à Tchoume

Rubrique - Ma vie à deux -
(extraits)

 

Parfois ils s'amusent bien, surtout quand ils vont au Kara-hoquet :

Elle :
" Eh, mais alors ce n'était pas le micro tout à l'heure ? "

Lui : "
... quand mon corps sur ton corps, lourd comme un cheval mort ... "

Tchoume est une ville qui est sensé avoir du cachet.
" Ce devait être des calmants ! " se disait Lapin.Blanc.Rapide car dans les rues piétonnes tout le monde semblait être sous hypnose.
" Je sens qu'on va bien s'amuser ici ah, ah, atchoum ... à mes souhaits ! "
Bertrand avait du attraper froid sur son radeau, il éternuait sans cesse et avait sans doute un peu de fièvre.
Il devait prendre soin de lui (sinon qui le ferait ?), il décida donc de se choisir un très bon hôtel afin de bien s'y reposer et de s'y gaver de bonne chère.
Et de bonne chair, sait-on jamais ?
Mais avec quel argent ?

Il regardait avec envie la façade illuminée du " Café des Riches " quand une idée lui vint : il n'avait qu'à se faire passer pour Hubert-Bonisseur de la Chatte, son double imaginaire, prétentieux et indélicat.
Puis de se casser en douce.
Il entra et se commanda un fastueux dîner avec toute la morgue dont il se sentait capable.
" Miam, miam ! " malgé son dédain affiché (son rang exigeant qu'il fasse la fine bouche), il salivait déjà.

 

Il se sera au moins tapé la cloche, et en musique s'il vous plait !

Son nom à particules continuait de faire son petit effet sur le personnel, effet encore amplifié par l'écho dans la salle du retaurant quand un serveur vint annoncer :
" Monsieur de la Chatte, téléphone ! " quelques têtes se retournèrent.
Bertrand était stupéfait, qui pouvait connaître sa présence à Tchoume dans cet endroit prisé, et sous une fausse identité d'emprunt de surcroît ?
" Merci mon brave ... allo, ici Hubert-Bonisseur ... "
" Hubert, c'est Pierrette ! " c'était Pierrette.
" Atchoum ! Pardon, comment m'as tu retrouvé ? " s'inquiétait déjà l'imposteur.
" C'était facile, d'après ce que tu m'avais expliqué, tu ne fréquentais que les endroits les plus huppés et il n'y en a pas cinquante dans le coin.
Quand tu as disparu j'ai pensé que tu avais des problèmes, que tu devais te " mettre au vert " comme on dit dans ton milieu ! "
" C'est juste, répondit Bertrand dont le nez s'allongeait à vue d'oeil, je voulais surtout te protéger, que tu ne sois pas mêler à tout ça, mes ennemis sont nombreux a,a, atchoum !
Pardon, et puissants, à Tchoume comme ailleurs !
... et ils ne feront pas de quartier sensible ... pour ta sécurité (et ma tranquillité) il vaut mieux ne plus nous revoir ; et surtout ne pas venir ici, c'est beaucoup trop dangereux ..."

A cet instant, son gros pif lui bouchait carrément l'horizon.

Le menteur

" Ne crains rien, si on me cherche je saurais me défendre, j'ai ma tronçonneuse (Bertrand entendit le rugissement de la machine dans l'écouteur) ; d'ailleurs je n'ai pas besoin de venir, je suis déjà là, à surveiller la porte de ta chambre, viens vite ! "
En d'autres circonstances, cette injonction aurait rempli à ras bord de joie Lapin.Blanc.Rapide qui en aurait sauté partout sur l'épaisse moquette cerise là il blémit seulement un peu plus.
Devant la porte de sa chambre, et avec la tronçonneuse ?
Ce serait le massacre du printemps !
Bertrand imagine alors une mise en scène étrange, dans le style renaissance.
Il remonte vite au palier situé juste en dessous de sa chambre.
Des pas résonnent à l'étage supérieur, cest Pierrette, elle arpente le couloir de long en large.
" Psttt, psttt, Pierrette, ouh ouh ! " appelle t'il doucement, la jeune fille à court de pénis accourt.
Ses jolies boucles blondes dépassent de la rampe lustrée.
Sans lui laisser le temps d'en placer une, Bertrand lui explique son plan :
" Ecoute moi bien Pierrette car je te parle peut-être pour la dernière fois (espèrons !).
Surtout ne descend pas, c'est trop dangereux car cet hôtel est un vrai nid de frelons du Japon, continue de bien surveiller ma porte afin que personne (d'un con trop laid) ne s'en approche ... "
" Dés le premier regard j'ai su que c'était toi ! " lui répond la veilleuse, hors de propos.
" Chut ! suis surtout bien mes consignes ... alors je serais qui moi ? " interroge le garçon qui ne comprend pas ce genre d'ellipses.
" Un ange venu du ciel sur une langue de feu ... " poursuit la visitée.
" N'exagérons pas ... vous savez, je n'y peux rien (sous-entendu : d'avoir autant de charme) ! ", ses chevilles se mirent à enfler, sa chaussure de droite éclata, puis la gauche.
A cette double détonation, Pierrette réagit de suite, faisant rugir sa tronçonneuse.
" O;k darling, ticket zizi ! " parler ce qu'il supposait de l'anglais, faisait plus international.
Donc plus sérieux, Bertrand continua dans la langue de Shake Spear* :
" Cool baby, super cool même, aucun danger ... pour l'instant. "

* Shake Spear : Rastaman vibration, surnommé " la lance qui remue " par ses fans féminines, il est le frère de Burning Spear (qui lui devrait penser sérieusement à se faire soigner).
Big splash et total respect à tous les deux !

La guerrière s'apaisa, d'une voix claire et sereine, elle expliqua :
" Il ne pouvait en être autrement Hubert, notre rencontre, notre amour, notre mariage (?), tout était écrit ! "

Cupidon pourchasse Lapin.Blanc.Rapide
à travers les salons de l'hôtel.

 

Des volées de flêches acérées traversérent l'espace entre les deux étages.
Bertrand se jeta de côté, heureusement que ce benêt de Cupidon avait mal visé sinon Bertrand serait devenu un Saint Sébastien supplémentaire.
" Raté ... mais de peu ! " souffla-t'il en examinant le panneau tout hérissé d'amoureux traits.

Bertrand n'osa pas demander où ces choses là étaient écrites ... il était pourtant ébranlé par tant de certitudes et de confiance, mais il ne changea pas de résolutions pour autant.
" Nous sommes faits l'un pour l'autre, comme le boudin pour les pommes ou le marteau pour l'enclume ... " continuait la demoiselle dont les ovaires échauffés stimulaient l'imagination.
" Comme le lièvre et la morue, la carpe et le tapin, ou carrément : Ronéo* et Boulette ! " ironisa le garçon.
On montait dans l'escalier, leur tête-à-tête devait prendre fin, Bertrand sortit son arme secrète (c'est une image bien sûr, nous sommes dans un lieu public) :
" Surtout, ne bouge sous aucun prétexte, je ... je vais acheter des cigarettes ! "
Mais Cupidon veillait, assis sur la rampe, l'arc toujours bandé.

Pas un, mais deux amoureux archers maintenant car le fantasque Cucupidon a rejoint son frère, la chasse au lapin est ouverte ...

Cupidon :
" Combien la prime cette fois ? "

Cucupidon :
" Deux Bounty ... chacun. "

Heureusement Bertrand avait lu beaucoup de bandes dessinées et il connaissait les ruses du sioux.
Il se saisit d'un lourd cendrier qu'il lança dans le vitrail art-décoco qui déshonorait depuis trop longtemps ce pauvre palier, le fragile assemblage de verres colorés s'effondra dans un affreux vacarme.
L'archer maladroit sauta de son perchoir et, tout en décochant ses flêches, fonça en direction du bruit, comme prévu. Bertrand dévala alors les marches quatre à quatre, il croisa le personnel affolé qui venait aux mauvaises nouvelles.

* Ronéo : Toute ressemblance avec Roméo et Juliette est absolument providentielle.
Ici il n'y a pas de balcons, donc de cocus, donc pas de problèmes ... ni de haines séculaires, juste quelques vagues vendettas pour des places de parking.
Monte-Aigu et Crapulet devraient pouvoir s'entendre.

Récapitulons, Bertrand ne sait plus où se mettre, tout le monde le cherche, il est grand temps de tirer sa révérence*.

* révérence : C'est qui elle ?
Si on s'en prend aux écclésiastiques, je vous préviens, j'arrête !

Il abandonna dans sa fuite et dans sa chambre tous les papiers concernant son travail, ses classeurs et ses dossiers qu'ils n'ouvraient jamais, c'était d'ailleurs une exellente occasion de s'en débarasser pour de bon.

 

Ses classeurs ont de jolies couleurs,
c'est tout ce qu'il peut en dire.

Bertrand ne revint pas non plus à sa table, abandonnant aussi ortolans, bouteille millésimée, bugnes aux tripes et surtout l'addition, pour franchir à toute allure la sortie de secours.
Comme un gros dard poilu, Hubert-Bonisseur jaillit et se ficha du monde dans une souche pourrie.
Partout dans l'hôtel, les gens couraient en criant :
" De la Chatte, de la Chatte ! "
Ils n'étaient pas prêt de rentrer dans sa chambre, il entendait déjà ronfler la tronçonneuse ...
Sur le parking de l'établissement, entre les berlines et limousines, trônait la tractopelle jaune avec son logo vert " Dugland ".

Bertrand partit en courant dans toutes les directions ... difficile de se fuir soi-même, à bout de souffle, il s'appuya contre un mur classé et se calma un peu, pour arrêter de faire n'importe quoi.
Il prit mille précautions, se retournant sans cesse tout en effectuant de nombreux détours afin de rejoindre sa voiture où il s'enferma dans le coffre, il avait besoin de réfléchir tranquillement.
Sa première pensée fût d'en finir avec son dédoublement perturbateur :
" Hubert-Bonisseur c'est terminé, je signe ici son arrêt de mort et je m'exécute illico : Pan-Pan-Pan et re-Pan... "
Il souffla sur le bout de ses doigts et rangea son flingue virtuel dans son étui*idem.

* étui : Remarquez qu'il ne le remet pas dans son étui pinien (pardon, pénien) car c'est trop dangereux, un coup et si vite parti.

Il réapparut à la lumière électrique et reprit sa place normale, au volant.
Redevenu Bertrand Biquet, il longea lentement le Gers tout feux éteints.
Avant de s'enfoncer dans l'obscurité, tout simplement.
Et comme la nuit porte conseil, il commença de philosopher (comment ça !).
Ne riez pas, il lui arrive de penser ... quand il n'a plus d'autre solutions.
Il se parlait tout haut :
" Notre amour est impossible ... "
" Pourquoi donc ? " lui demanda une vois grave derrière lui.
Le garçon sursauta tellement qu'il manqua quitter la route.
Quelqu'un était dans sa voiture !

C'était un sans-domicile-fixe à la rue qui ayant trouvé la portière ouverte avait squatté le véhicule car à Tchoume les nuits sont fraîches.
Bertrand en savait quelque chose, atchoum !

 

Le passager de la nuit.

 

L'autre hôte était légèrement bleuté et émettait régulièrement de fines bulles transparentes qui fleuraient bon la cage d'escalier.
Pour une fois le lapin conducteur était content d'avoir de la compagnie ; il allait pouvoir dire ce qu'il pensait.
Ce qui ne lui arrive pas souvent, en quatrième vitesse il reprit.

" Pourquoi il est impossible cet amour ?
Parce que c'est un problème qui n'a pas de solution, un peu comme la quadrature du cercle !
Expliquons nous :
soit je fais ce qu'il me plait et la dame s'ennuie, soit je fais ce qui lui plait et c'est alors moi qui a le sentiment de ne plus exister.
J'ai donc du faire un choix ...

Réflexions croisées

Pierrette :
" Nos deux esprits ne font plus qu'un ! "

W.S.R :
" C'est bien ça le problème ... "

Un silence relatif.
" Atchoum ! "
" A tes souhaits ! "
" Berci ! "
" Vous vous demandez sans doute quel choix j'ai pu faire ? "

L'homme à l'arrière répondit distraitement :
" Non, pas spécialement ... mais allez-y toujours ! "
" Et bien j'ai choisi la liberté ! " proclama Bertrand tout exalté.
" T'as bien de la chance ! " rétorqua l'autre.
" Mais je suis près à en payer le prix ! " crut bon d'ajouter le garçon.
" Moi aussi ... "

Bertrand regardait fixement devant lui, conduire la nuit lui donne des hallucinations, il voit des choses qui n'existent pas, des routes à côté de la route...
Il doit se concentrer pour rester sur la chaussée.

Encore un peu de silence, s'il vous plait !

" En fait nous sommes tous victimes d'une projection* simultanée ... " affirma d'un coup notre fil conducteur.
" On nous a jeté quelque chose ... sur la voiture ? " s'inquiéta le monsieur en regardant aux alentours vides et orangés.

* projection : C'est un phénomène primordial, et quasi-fondateur de la psychologie amoureuse.
Elle est de deux sortes : privée ou publique.
Notre projection privée ne regarde que nous qui sommes les seuls à la regarder, heureusement.
La projection publique est toujours en cours, partout, il suffit d'être au moins deux* afin de mutuellement s'éblouir.
Il est fortement recommandé de s'être auparavant accordé (même tacitement) sur la puissance et l'intensité de l'aveuglement voulu.
Après chacun allume sa lanterne magique pour que l'autre puisse se faire son cinéma en trois dimensions.

Le conducteur file le long de la ligne blanche, seul repère fiable dans ce monde d'illusions.
Elle lui sert aussi de fil rouge pour ses boutons.

Prenons un exemple : aujourd'hui Bertand a envie de voir " Lapin.Blanc.Rapide chez les femmes-girafes* ", c'est son droit puisque c'est son goût ; sa partenaire à un programme bien différent, mettons " Mon gorille dans la brume ", cela semble incompatible.
Et ça le serait sans ce merveilleux dispositif de projection simultanée où chacun peut vivre tranquillement sa vie sentimentale sans réveiller l'autre.

Si l'autre vous abandonne durant la séance, vous retombez dans la première catégorie où vous pourrez toujours vous brosser à votre aise.
Après cette interminable note Bertrand remonte d'un coup sur ses grands chevaux :
" Je voudrais que plus personne ne souffre sur la terre, que tout le monde hait, aie, ai du travail*, que l'on mange en dehors des repas, que les filles restent jeunes et jolies etc ... "

* travail : A ce sujet Bertrand veut bien partager le sien ; comme vous avez pu le contater, c'est plutôt cool.

" Qui a dit le contraire ? " demanda simplement son répondeur qui avait le chic pour vous couper la parole sous le pied. Ils arrivaient à un carrefour :
" Je vais où là ? A droite c'est direction Chaussé-au-Moine ... "
" Amen ! " dit simplement l'autre.
" Hein, c'est y pas de l'amour ... aussi ? "

Encore un silence, mais moins relatif car on entend siffler le train.

" En tout cas c'est un vrai problème, et un problème qui n'est pas près d'être résolu, je dirais même plus, qui n'est pas fait pour avoir de solutions !
Il existe pour être posé, et reposé à chaque fois et à chaque nouvelle relation, il est la condition nécessaire (et heureusement suffisante) à notre existence, à la perpétuation de l'espèce et à sa reproduction envers et contre tout.
Même notre propre volonté !
Qu'en pensez-vous ? "

Attention Lapin.Blanc.Rapide, ne te retourne pas, regarde toujours devant toi même, surtout si tu ne vois pas bien où tu vas.
Un conseil mal éclairé du champion Sébastien Zob (le frère de Raymond) au pilote égaré.


" Tu peux répéter, s'il te plait ? " demanda le passager clandestin, jusque là silencieux.
" C'est du pur fonctionnement, notre problème étant de vouloir à tout prix lui donner un sens, religieux, moral, politique, social, spirituel (?), quelque chose au dehors qui le justifierait, ou en ferait une rêgle, ou une loi ... ça nous occupe énormément. "
" C'est peut-être pour ça que je suis tout seul ? " s'interrogeait son copilote au moment de quitter l'automobile home.
C'était là qu'il descendait, c'est à dire nulle part.
Par la vitre entrouverte, il donna encore ce dernier conseil à Bertrand :
" Mets-la en veilleuse ! "
Ce qu'il fit.
" Atchoum ! "
Comme les autres.
" Sniff ! "

 

Aperçus

A Tchoume tout n'est pas moche
La preuve ?
Cet énergumène enrhumé

 

 

 
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