JOURNAL D'UN PLASTICHIEN

Menrdi 39 dovembre

En résidence, surveillée.

Je suis en résidence, je suis assis depuis ce matin dans une pièce toute blanche avec un ordinateur comme seule compagnie... ; je suis dans un "laboratoire de création artistique" qui dépend directement de la toute-puissante N.B.A*, c'est vous dire si c'est sérieux.

 

Fonctionnaires de la N.B.A.
* N.B.A : Le point sur la Nouvelle Bureaucratie Artistique
sera fait et régulièrement mis à jour dans les "Dossiers secrets".

 

Je n'ai rien à faire, je ne dois rien faire, pas d'instructions ni de consignes, mais un impératif : avoir une idée, alors j'attends.
Des idées, j'en ai parfois mais ce sont toujours les mêmes et je ne peux pas les ramener ici car elles sont fixes ; plus grave encore, elles ne sont pas nouvelles donc ce n'est même pas la peine d'en parler, en allant aux toilettes je croise d'autres "chercheurs" en blouse blanche, l'air préoccupé et le poil terne.
Je n'ose pas les déranger et je retourne dans ma pièce à réfléchir.

Le plastichien réduit à l'e-naction change de couleurs comme un caméléon;
le rouge signifiant la colère sourde ; le bleu, l'ennui profond ; le pire étant quand il pâlit.

 

Au bout d'un moment, je commence à en avoir marre et tourne en rond, vivement ce soir qu'ils ouvrent les portes.
Au cinquante troisième tour, je remarque des objets abandonnés dans le fond d'un placard, je vais pour les prendre quand une crainte me vient : attention, c'est peut-être une idée fossile, ce qu'ils appelent ici"une installation" ?

Difficile à savoir, je passe outre mes craintes et m'empare d'un flacon en plastique destiné au liquide vaiselle, j'en circoncis habilement l'extrémité pour en augmenter le débit et mèlange son contenu avec un fond de vin de noix moisi, vous tremblez ?
Vous avez peur que je boive le tout ?
Pas du tout, dans un geste ample, je projette sur les murs immaculés le contenu sombre et légèrement gluant du dit-flacon.

 

 


C'est ce moment que choisit un fonctionnaire de la N.B.A pour regarder dans la pièce, il pousse un cri d'épouvante et s'enfuit en hurlant :
" Illustrations, illustrations ! ".
Il ne tarde pas à revenir avec un tas de collègues qui tous prennent un air surpris, consterné et mécontent en entrant dans la pièce.
" Zut, ils sont furieux car j'ai sali les murs..."
Mais ce n'était pas celà, en bons iconophobes, ils ne pouvaient que très mal réagir :
" Tout, tout, tout mais pas ça ! " scandaient-ils en choeur en se voilant les yeux.
J'aurais pu, j'aurais du faire n'importe quoi mais pas une image, ils m'emmenèrent sans douceur vers la sortie du laboratoire en me traitant d' :
" Espèce d'artisan, sale dessinateur, tu n'as pas honte de travailler avec tes mains ! Tu n'as pas honte de travailler (tout court) ! Tu n'as pas honte (tout court) ! "
Ils étaient tellement hors d'eux qu'ils me jetèrent leurs téléphones portables, c'est tout dire.
Je survécus à cette lapidation électronique en m'évadant par un concept mal fermé ; j'ouvrais enfin les yeux, content de pouvoir sortir de ce rêve, éveillé.

 

Les murs souillés du laboratoire, quelle profanation de Lyon !

 

 
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