ALICE
Le 20 mai à Doloron

 

Les affiches

 

" Vous êtes au pays des merveilles ! " annonçaient en énormes caractères les panneaux généreusement* offerts par le Conseil Général dans un formidable élan d'autocongratulation.

* généreusement : Normal, c'est nous qui payons.

A Doloron on était en pleine campagne des municipales, elle battait normalement son plein de démagogie sur les espaces prévus et légaux.
Le problème c'est que ça n'intéressait personne.
Sauf Bertrand qui était planté depuis un quart d'heure devant l'affiche du parti La Gauche Adroite.
Ce n'était pas le programme (assez commun) qui le tétanisait ainsi, c'était la candidate, Alice Danète, elle suscitait vraiment l'admiration du garçon qui se serait volontiers dressé de toutes ses forces à son passage Comme le demandait son principal (et unique) slogan " On se lève tous pour Danète ".

Les jeunes la soutenaient mais ils étaient si peu nombreux !
La plupart des candidats étaient des candidates, c'est la particularité de la vie poltique doloronaise.
Bertrand n'y trouvait rien à redire, la gestion masculine des affaires publiques nous faisant côtoyer en permanence le précipice, pourquoi ne pas la confier aux femmes ?

Au nom de la paparité, les proportions étaient ici inversées, les femmes avaient pris le pouvoir, en tout cas, elles le convoitaient totalement.
Alice était au centre de l'alignement, un peu sur la gauche (normal !).

L'affiche en question, elle fait semblant d'y jouer au golf.
Pourquoi ?
Demandez à ses vaseux communicants.

En vrai professionnelle, Alice avait du faire de nombreuses séances de pose.

Bertrand finit par se rendre compte que le discours politique se lisait dans les deux sens, de droite à gauche et de gauche à droite, comme dans un miroir.
Cette découverte le troubla, il se passa amoureusement la main sur les joues, ses cicatrices avaient presque disparues et il n'était pas rasé, sinon ça allait. Lapin.Blanc.Rapide longea les autres panneaux :
la bataille s'annonçait rude !

Alice restait sa favorite mais elle avait de redoutables rivales.
La plus dangereuse étant sans doute cette Monica Rabosse qui faisait toujours campagne les seins nus, par n'importe quel temps :
" A cause du réchauffement climatique ! " affirmait-elle.

Et elle ne manquait pas de beaux arguments (au moins deux), ni de soutiens, ses apparitions topless sur les champs de foire du canton ravissaient les anciens qui ne juraient plus que par elle :
" Avec la Rabosse, au moins on ne craint pas le ballotage ! " plaisantaient-ils au café.

Les anciennes étaient beaucoup plus réservées, voire carrément hostiles.

 

" Monica ! Monica ! Monica ! "
Quel plébiscite.

 

 

Blanche Neige, avec son équipe de nains en bonnets difformes, promettait aussi de lutter contre les effets du réchauffement, en installant d'immenses ventilateurs verticaux comme partout en Europe.

Blanche Neige est dans le vent et ça se sent, jusque sur les affiches.

 

Car Blanche était verte depuis longtemps ; de jalousie devant les succès de Monica.
Elle projetait donc une alliance avec Dame Tartine*, une coalition de circonstances et de centre mou à laquelle tous les sondages promettaient une monstrueuse gamelle.

* Dame Tartine : La plus bizarre des candidates, elle ne disait rien et montrait seulement du doigt la lune, le pays où tout est gratuit.

Sous le curieux label " Au bois dormant ", un homme, un vrai, était aussi sur les rangs : Vincent Drillon, le représentant du puissant syndicat des femmes de ménage*.

* ménage : Les hommes de ménage ne sont jamais représentés, quelle injustice !

Il promettait de tout balayer mais en avait-il les moyens ?
Bertrand voulait à tout prix rencontrer Alice Danète pour l'assurer de son indéfectible dévouement.
Il téléphona à la permanence de la " Gauche Adroite " afin d'obtenir un rendez-vous.
Malheureusement Alice était en tournée électorale dans les hameaux avoisinants, on lui proposait de rencontrer à sa place son attachée de presse, Jacqueline Rémoulade.
Le garçon était évidemment déçu mais il prit le rendez-vous, les mots "attachée de presse " ayant sur lui un curieux pouvoir érotique.
En attendant son heure et par un souci d'objectivité qui l'honore, Bertrand essaya de con-tacter la chaleureuse Monica.
Devant l'affiche il hésitait encore, difficile de faire un choix.
Comme nous le savons de Marseille (où Ta Mouille a un correspondant peu cher) le garçon est plutôt de gauche, mais là bizarrement, il penchait (oh légèrement !) à droite.
Il voudrait être mieux informé, c'est une démarche légitime, mieux, citoyenne* !

* citoyenne : Quand il était petit, il était déjà amoureux de la République et de son buste souverrain.

Le téléphone sonna un moment dans le vide, puis il est en ligne :
" Allo, ici Bertrand Biquet de Ta Mouille dans les Pyrénées, je voudrais rencontrer Madame Rabosse pour parler de son programme et étudier de plus près ses deux arguments, serait-ce possible ? "
Divers bruits électroniques, on s'active dans les fils, il patiente :

" Appelle-moi donc Monica mon chéri ! Bzttt "
Au bout du bout du fil : " Monica, c'est pour toi ! "
Rebidouillage, puis on entend vaguement des gémissements, des petits cris et d'autres échos variés, mais encore feutrés :
" Tu veux nous rejoindre ?

Alors viens te mêler à notre mouvement radical et saccadé ... en bonne compagnie !
Exprimer pleinement ta sensiblilté si particulière, ta fameuse spécificité ?
En clair, tu as des préférences ? "
Une porte vient de s'ouvrir :
" Tous à la Grande Enculade ! " reprend un mystérieux choeur à la polyphonie assassine sur fond de vaisselles cassées.. "
Vive Monica* " entend-il vaguement crier, on était en plein meeting et la salle était manifestement bien chauffée.. *
Monica : Bertrand pensait à ce vieux Bill.
Un semblant de calme revint dans l'écouteur et le questionnement continue :
" Veux-tu rencontrer de jeunes miltantes encore idéalistes*? "
Ouuii ! " répond connement Bertrand.

* idéalistes : C'est une sorte de virginité, renouvelable mais pas illimitée, comme les dents de requin.

La voix inhumaine continue son laïus mécanique :
" Ou apprendre à tailler une motion magique avec une belle langue de bois ? "
Là c'est trop compliqué pour lui.
" Veux-tu être un dominant, un dominé, un domino ou un domi / Bip -Bip - Bip ...
Dans l'affolement général, quelqu'un avait du renverser le téléphone, ça sonnait vraiment très occupé, il raccrocha à son tour.

Maintenant c'était lui qui ne savait plus de quel côté pencher

" C'est vraiment le Pays des Merveilles ici ! " se dit Bertrand troublé, sa sensibilité politique venant de virer au rose. Redevenu Lapin.Blanc.Rapide, il se précipite au siège de la Gauche Adroite retrouver Jacqueline Rémoulade* et ses nécessaires explications.

* Rémoulade : " Si elle rit, j'ai ma chance. " se disait le garçon toujours optimiste et amateur de crudités variées.

En chemin, il regarde plusieurs fois avec angoisse son énorme montre.
Mais il était pile à l'heure à son rendez-vous, se présentant comme le journaliste de Ta Mouille, on le fit entrer dans un petit bureau vitré.
Sur les murs des portraits d'Alice Danète au milieu des doloronais :
Alice à la poste, Alice à la gare, Alice fait du vélo, Alice à la crèche, chez le boulanger, le poissonnier*, partout les gens la regardaient avec vénération.
Et ils se levaient tous, même les grabataires et les bébés repus et somnolents.

* poissonnier : Habile (?) mensonge car il n'y a pas de poissonnerie à Doloron.
Par contre c'est un vrai problème.

Il choisit sur une table deux cartes qu'il oublia de payer, en souvenir et pour le déplacement.
Elles représentaient évidemment son héroïne électorale, l'une intitulée " Alice fait du dessin " avec cette belle pensée :

" Pour un ciel sans nuages ... "

Et cette autre " Alice chez les pauvres " où l'on peut voir que les pauvres ont encore la force de se lever pour Danète (et pour leur petit cadeau).

Bertand était en plein ravissement.
Car il était sensible à la propagande.
Tac, tac, tac, tac ...
Des petits pas vifs et Jacqueline Rémoulade faisait son entrée : tailleur gris, perles, talons hauts et bas résille, la classe !
Bertrand ne put retenir un sifflement admiratif :
" Pfuiii, vous auriez du vous présenter aussi ! "

Jacqueline parut surprise, sans plus, un compliment ça fait toujours plaisir.
Après s'être installée en face de lui, elle demanda s'il avait des questions.

B : " Beaucoup ... d'abord, est-ce que vous aimez les lapins ? "
J : " Euh, oui, je n'ai rien contre, vous travaillez pour Trente millions d'amis* ? "

* amis : Et donc autant d'électeurs potentiels.

B : " Non, mais j'ai une autre question animalière : que faîtes-vous pendant que dure le brâme du cerf ? "
J : " ? ... J'essaie de dormir ... et si nous en venions à notre programme ? " soupira Jacqueline en levant ses yeux de biche.
B : " J'y arrive à quatre pattes ... voilà : que comptez-vous faire pour soulager l'affreux célibat des agriculteurs de montagne ? "
J : " C'est un problème car leur vit est vraiment rude, mais nous nous y employons de toutes nos forces, hélas nous n'avons que quatre mains ! "

Et quatre jambes, même si notre reporter n'en voyait que deux ... qu'ils élisaient haut la main.
Et pour lesquelles il s'organisa une érection anticipée, primaire sans doute mais libre*.
Démocratique ?
Evidemment, la bandaison est à tout le monde, irrépressible et inaliénable, c'est un des rares droits qui nous restent.
Pour une érection présidentielle, il faudrait demander à Carla.

* libre : Dans la limite de la place disponible.

En tout cas, à la proportionnelle il avait toutes ses chances (les petites parties étant toujours défavorisées).

Reprenons l'interview :

B : " Une question plus politichienne maintenant : votre grande rivale, Monica Rabosse, laisse partout entendre que les rapports entre Alice Danète et vous sortaient largement du cadre strictement républicain ? "
J : " Quelle salope ! Excusez-moi, ça m'a échappé, ne le notez pas, sil vous plait ! "

Plus doucement, et avec le sourire qui tue :
" Dans cette vallée il n'y a que le T.E.R et l'ours de Slovénie qui ne lui soient pas passés dessus, encore que pour l'ours, on ne soit pas sûr à 100% !
Pauvre bête ! (un soupir)
" Vous savez Jacqueline que la solitude rend fou parfois ! "
" Peut-être ... mais se faire élire comme ça, c'est facile ... "
" Vous le pûtes aisément ! " commenta sobrement Bertrand.

Jacqueline apprécia puis continua, sur le ton de la confidence :
" Et puis vous savez, entre nous, ces fameux nichons, c'est tout du faux, implants, silicone et compagnie ... un jour, vous verrez cher monsieur de Ta Mouille, ils finiront par tomber tout seul, et s'en sera fini des succès faciles ! "



B : " Merci madame de ses précisions chirurgicales, une dernière et perfide question pour la route : Vincent Drillon laisse entendre que vous surexploitez honteusement votre cuisnière-femme de chambre et concierge de couleur, que répondez-vous ? "
J : " Rien, il aurait pour cela fallu que je le susse ! "
Cette fois il l'avait bien eue, demain ce serait dans le journal.
B : " Merci beaucoup Jacqueline, au nom de Ta Mouille et de ses nombreux lecteurs."
J : " Et bien au revoir monsieur Miquet (?) et rappelez vous, on se lève tous pour Danète, et hop !
Tac, tac, tac, tac ... "

 

Bertrand se leva, mais pour elle.
Jacqueline était déjà repartie en trottinant vers d'autres sphères communicantes.
Bertrand retourna voir les affiches pour se faire (au moins !) une opinion avant de repartir.
Car la vérité finit toujours par sortir des burnes (pardon, des urnes).
Et du puits où on les a jetées.

 

Jacqueline aux rayons X.

 

Encart publicitaire

Puisqu'ici bas tout le monde fait sa publicité, pourquoi pas lui ?
Savoir se vendre* est chose utile, et même nécessaire pour tout commerce charnel.

* vendre : S'il est un exécrable représentant pour tout autre article que lui même, Bertrand sait se mettre en valeur en déployant toutes* ses facettes.
Comme sur un présentoir tournant de cartes postales ?
Tout comme.

* toutes : Pas toutes bien sûr, vices privés, vertus publiques comme les autres.
Le garçon colla donc rapidement deux affiches sur un panneau laissée vide*.

* vide : Vacuité providentielle due, non à un lâche désistement mais à un exès de scrupules, la candidate en question refusant toute publicité ne voulant être désirée (aimée ?) que pour ses idées.
Bon courage.

 


Sur la première affiche (celle de droite), les conso-matrices expriment leur contentement général en levant le pouce. Pour la photo, le garçon a enlevé ses chaussures :
" Cela fait plus authentique, plus simple ... plus proche de la terre ! " pense-t'il.
Pourquoi pas ?
Et puis il a de jolis pieds, c'est ce qu'il trouve de plus réussi chez lui alors il le montre.
L'image de gauche est plus sérieuse, rigoureuse même car il faut aussi donner des chiffres, couper des camemberts en tranches inégales pour rester crédible.
Le pourcentage de satisfaction des utilisatrices du Lapin.Blanc.Rapide est ici indiqué en vert, les insatisfaites sont rouges.
De colère et de ressentiment.

Suivant les différents lieux traversés de part en part, la proportion varie et c'est bien normal.
Ainsi à Montdard, grâce au soutien du conseil municipal tout entier, c'est un véritable raz-de-marée, un score quasi-colonial de 8O,4 % d'opinions favorables !
Du jamais vu sexuellement.
A noter un très bon score (68,8 % !) à Apaux également.
A Fauzerte c'est du 5O/5O (Comment ça ! Il aurait pourtant juré ...)
Par contre à Fouillac c'est un vrai désastre, seulement 7,3 % des sondées se déclarent prêtes à renouveller l'expérience.
Les fouillaquoises trop déçues ont même surnommé Bertrand " L'extincteur ", un comble !

Ce n'est pas pour lui trouver des circonstances insinuantes mais il était très énervé ce jour-là à cause des ronds-points, des barrages, de la police, des agriculteurs, des voitures neuves ... et de Pierrette.
" Ta, ta, ta, ta ... toujours des excuses, des prétextes ou de mauvaises raisons ! " tempète le choeur des déjà pointées (pardon, des désapointées).
Courageusement, il inclut cette méchante statisitique dans son tableau, en tout petit.


Entre ces deux extrèmes, l'opinion publique de Bertrand ne variera guère et sa publicité est donc normalement mensongère.
Il avait déjà un autre projet, carrément visionnaire :
" Plus fort, plus loin, plus profond avec Bertrand ... en avant toutes "
Voila qui devrait électriser les électrices.
Il n'était pas encore satisfait (lui non plus !) de la fin qu'il trouvait ... convelue, pardon, con venu, pardon, je ne sais plus (mais je trouverais).
Il irait demander à cette chère Jacqueline ce qu'elle en pense car rien ne vaut l'avis d'une professionnelle à talons, hauts.
Tac, tac, tac, tac ...

Aperçus

A Doloron, élections
Piège à fions
Je souffle dans tes flonflons républicains

 

 

 

 
Pour revenir à la page d'accueil