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GIRONDINES
Le 17 (bis*) mai
à Bourdeaux
* 17 (bis)
: Véritable entorse à l'espace-temps habituel, cette journée du 17 (bis)
mai n'existe que dans un monde parallèle* au notre.
Le sauna
bourdelais
Scientifiquement,
positivement, elle ne compte pas, pourtant elle occupe dans l'imaginaire
du Lapin.Blanc.Rapide, et maintenant invisible, une place énorme mais
transparente.
Depuis la veille, on ne le voyait plus du tout et il se réjouissait d'avance
à l'idée de se promener toute une journée dans la préfecture de la Gironde
(tout un programme !).
En toute indiscrétion bien sûr.
" Mais attention, l'avait prévenue fée Machine, à minuit, le charme cessera
d'opérer, tout redeviendra normal et tu seras visible à nouveau mon chéri
lapin ! "
Ici s'arrête pour ce jour la partie visible de l'existence de Bertrand
; pour le suivre nous n'avons plus que la trace des communications de
son portable et quelques clichés curieusement irréguliers.
C'est pourtant facile de réaliser des cliché de l'homme invisible, passons
(sans manifester notre irritation).
Emploi du
non-temps :
Le premier
plan est un peu envahissant.
- à 10H12 de la
piscine La garonnette
Tout en haut du grand plongeoir, je suis le maître-nageur trop musclé,
je fais la roue lentement pour qu'on puisse admirer mon splendide corps
d'athlète.
Et puis je saute ... comme l'ange.
Un énorme " Plafff " réveilla les bronzeuses somnolentes qui relèvent
un cil*.
Puis un deuxième pour observer avec curiosité l'hésitant et curieux sillage
dans l'eau chlorée.
* cil : Il
était temps car il n'y a vraiment pas assez de poils dans cette histoire
finalement si chaste.
Le fameux
plongeoir, Bertrand va s'élancer ... pas tout de suite, encore un
petit moment, il ferme les yeux, ça y est, il vole ... |
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- à 13H27 au zoo
du Quinconce
On n'a pas d'explications rationnelles qui expliqueraient la venue de
Bertrand dans ce lieu.
Si ce n'est son amour de la nature sous toutes ses formes, surtout féminines.
Par contre les animaux ont tout de suite senti et détecté sa présence,
d'où une agitation certaine chez les lapins blancs du Kamtchatka.
Certaines femelles grimpant aux murs.
Même les placides pélicans* sont surexcités, notent les soigneurs aguerris.
Les autres ne remarquent rien, si, le renard polaire est comme un fou.
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* pélicans : En l'occurence
des pélicans frisés malheureusement devenus rares, de grands pêcheurs,
comme Bertrand.
Alors écoutons-les.
Réflexions
croisées :
Pélicane
:
" Mais non ... Qu'est-ce qui me passe par la tête ... ? "
Pélicaneau
:
" Maman, qu'y a t'il ? "
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Les maternelles soigneuses continuent de donner leurs seins ronds aux
bébés gorilles ou chimpanzés sans se laisser distraire par toute cette
agitation.
- 14H12 en face
de l'enclos des bonobos du Gabon
L'homme invisible téléphone à son patron pour le rassurer :
" Tout va bien très bien monsieur Brulaud, parfaitement comme prévu ---------------------------
ah, vous êtes a Bourdeaux aujourd'hui, quelle ... chance incroyable ---------------------------
non, malheureusement se voir, ça ne va pas être possible, vraiment ! --------------------
--------------------------------------------- !!! comment ça, vous n'avez
toujours pas reçu mon rapport, je m'en étonne, il a du encore se perdre
---------------------------------------- ??? Je vous l'envoie de suite,
c'est promis ------------------- oui, d"accord mais je travaille sur le
très, très long terme -------------- on n'en voit pas le bout dîtes-vous,
c'est ma stratégie -------------- des résultats ?
Plein, vous serez certainement surpris ----------------------------------------------------------------------------
----------------------------------------------- vous avez parfaitement
raison, et c'est génialement pensé (Bertrand souffle dans le télephone)
ahah ! il y a des problèmes sur le réseau, sans doute l'orage ... "
Il imite les coups du tonnerre en tapant son portable contre un poteau
avant de vite raccrocher.
Après notre ectoplasme s'en va écouter (distraitement) les confidences
des couples d'amoureux sur les bancs publics, il aimerait bien savoir
ce qu'ils ont tant à se dire.
En fait pas grand chose, c'est même parfaitement ennuyeux.
Le mystère est sûrement ailleurs, Bertrand décide d'aller ne pas s'y faire
voir.
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Il regarde
l'heure :
15H43, seulement !
Finalement
c'est bien long une journée d'invisibilité car on ne peut satisfaire
aucune de ses naturelles envies.
A cette heure Lapin.Blanc.Rapide est habituellement à la recherche
d'une possible partenaire, ou il l'a déjà trouvée et tente de s'accoupler,
ou il vient de la quitter et réfléchit au meilleur moyen d'en trouver
une autre avant la tombée du jour.
Ce qui ne lui laisse pas beaucoup de temps libre.
Plânerie.
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Aujourd'hui il
ne peut que se promener, flâner*, glander, admirer, contempler, éventuellement
comparer ... c'est joli Bourdeaux, grand, propre; riche et bien rangé,
tout pour plaire.
* flâner :
Il flâne !
Est-ce que je flâne moi ?
Il plane vous voulez dire ?
Il devrait se rappeler qu'il est toujours le héros de cette histoire.
Même si on ne le voit pas.
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Il mangerait bien quelque
chose, une pizzeria est justement devant lui : PIZZA STORY.
Bertrand imagine déjà sa gargantuesque commande : dans cet ordre
épicurien, il voudrait une napolitaine moelleuse suivie d'une mince
et pimentée sicilienne pour finir triomphalement à la romaine couverte
d'olives roses.
Les trois grasses, bien sûr, et bien chaudes.
Sauce tomate mise à part, il en salive tellement qu'une petite flaque
se crèe à l'aplomb de sa supposée langue.
Pizza story = Sad
story
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Mais ne rêvons
pas, ces plaisirs gustatifs lui sont totalement interdits.
Comme le pauvre (mais riche) roi Midas, tout ce que Bertrand porte à sa
bouche devient de suite invisible, il ne lui reste que son imagination
pour remplir ces heures creuses comme une assiette à soupe froide.
Et mal moulinée.
- à 18HO7 des
vestiaires du stade Sabande-Elmasse
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Les girondines bourdelaises
affrontent ce soir les louves lyonnaises, c'est le match retour
et les crampons volent bas.
Les louves rhonalpines griffent, mordent et tentent de pourrir le
match :
" Hou, hou ! "
crie Bertrand indigné avant de vite se taire, car il n'est pas sensé
être là.
Une bourdelaise se jette
sur une lyonnaise inattentive et vlan, dans les ovaires !
C'est la bagarre générale, on se crêpe le chignon, on se tire les
nénés, les girondins en perdent le tête.
Les filles se donnent
à fond, le lapin en reste rongeur (pardon, songeur) :
" Si elles pouvaient courir après moi comme elles courent après
ce ballon ... "
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Le résultat
est sans intérêt, l'important c'était de participer.
Bertrand rend
visite aux joueuses sous la douche après la rencontre, elles poussent
des cris de joie en se con-gratulant (en un seul mot s.v.p) ; c'est la
bonne ambiance et Bertrand en profite pour se rincer l'oeil à l'eau chaude.
Mais il ne regarde
pas, ou si peu, parole de scout invisible !
Il ne peut malheuresement pas faire d'interviews.
Après la douche, le sauna, il s'y précipite à la suite de l'équipe.
Quel brumeux
reportage !
A travers
l'épaisse vapeur, Bertrand distingue des morceaux choisis du corps
féminin, il s'en délecte en suant, c'est d'Ingres !
Il est à l'intérieur du bain turc, vraiment circulaire, comme un
autocuiseur.
On le frôle en permanence, c'est totalement délicieux ...
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Mais il doit
faire attention à tenir son sexe toujours plié pour ne pas gêner les déplacements
et la circulation.
Sanguine ?
Aucun problème car il change régulièrement de côté.
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La vapeur aidant,
les images se font de plus en plus
molles et fondantes.
Il chauffe (mais sans
pouvoir transpirer), il suffoque et il sue le phoque.
Ses voisines s'aspergent en riant, " quelle touffeur ! "
Une invincible somnolence l'absorbe, il rêve d'un monde fabuleux
uniquement peuplé de femmes nues toutes folles de lui, de vraies
cocottes minutes.
Il en bave longuement de plaisir traçant comme une invisible limace,
une piste visqueuse sur le bois mouillé.
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Redevenu totalement
mollusque, il s'endort profondément.
A son brusque réveil, l'ambiance avait radicalement changé, plus de soupirs
d'aise, de doux murmures ou de frôlements moites mais une avalanche de
claques puissantes sur de grosses et larges cuisses, des rots caverneux,
de denses bourrades et d'énormes éclats de voix.
L'équipe de rugby* à 15 (plus les remplaçants) avait pris la place encore
tiède des frèles girondines.
Ces gaillards flirtaient tous avec le quintal, et parfois bien plus ;
en rasant de près les parois humides Bertrand se dirigea lentement à travers
la buée, pas à pas (mais surtout pas à tâtons) vers son seul but désormais
possible :
le dehors.
* rugby à 15
: A deux c'est encore mieux, demandez à Marie-France.
- Toute la fin
d'après-midi, l'invisible Bertrand la passera allangui sur une pelouse
du square du Tonneau, bien à l'ombre, pour faire lentement baisser sa
température.
Il y parvint
par paliers*.
Maintenant notre immatériel lapin avait besoin d'un temporaire mais sombre
terrier.
* paliers :
Comme dans un Caisson de Décompression
de Lyon ?
Pareil.
- à 21H30 précise, il
pénétrait sans payer ni faire la queue dans le cinéma Scope.
On y projetait " Mission
Foufoune 3 ", le lapin brusquement cinéphile se réjouissait
de passer un moment dans le noir, invisible parmi les invisibles.
L'affiche
était attrayante
et promettait beaucoup.
C'était la troisième version
de ce fastueux navet.
Elle valait bien les deux précédentes,
ce qui n'est pas une référence.
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On pouvait y
admirer (largement) la toute jeune Aude Tansion dans le rôle de la rillette
(rieuse ?) et inexpérimentée* Foufoune du Mans.
* inexpérimentée
: Plus pour très longtemps, je préfère vous le dire tout de suite.
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Bertrand arrive
en plein milieu d'une action confuse : poursuivi par la guérilla,
Alain Melon parvient à s'introduire (de justesse) dans la vulve protectrice
qui se referme derrière lui en écrabouillant quelques guerilleros
imprudents, le reste de la troupe s'enfuit terrorisé, ouf !
Maintenant, il va falloir ressortir, et c'est une autre paire de hanches. |
Mais stop !
Je ne vais pas non plus tout raconter !
Surtout que ce n'est pas intéressant.
En tout cas, Robert Obsène est parfait en Asthmatic-Man sur le retour
d'âge, Alain Melon (et sa perpétuelle grosse tête) lui donne parfois la
réplique du bout des lèvres.
Quand il est bien tourné.
On note aussi, cerise égotique sur ce gâteau de pellicule, une fugitive,
mais gracieuse, apparition de Gros-Nombril venu délivrer (sur la fin)
cette curieuse prophétie :
" Quand Foufoune s'éveillera, le monde tremblera ! "
Comme le film
n'était vraiment pas terrible, l'hyperactif et transparent rongeur alla
se promener devant l'écran pour faire le pitre, puis il se livra sur les
spectatrices présentes à diverses facéties et attouchements que nous vous
laisserons, pour une fois, imaginer.
Cela nous évitera d'avoir à le faire.
Dans le noir (pas oblgatoirement les ténèbres), et surtout l'anonymat,
tout devient possible.
Ajoutez-y l'impunité et c'est le cauchemar.
Climatisé !
L'espace
d'un éclair, le processus s'inversait, lui seul restant visible et les
autres disparaissant.
En attendant le
petit ventre de Bertrand criait famine et ses boyaux vides s'en faisaient
les bruyants interprètes alternant gargouillis diffus, dyspepsies sifflantes
et abondantes (mais inodores) flatulences.
Ce qui provoqua pendant la torride scéne d'amour entre Alain Melon et
Aude (sous haute tension) un fou rire général. Il aurait au moins servi
à ça !
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Sur l'écran,
tout s"accèlére, après l'amour; Maurice recommence à faire des chèques,
nerveusement.
" Je peux vous appeler par votre prénom ? ... "
Rillette intervient : " Werner*, essaie de comprendre. Je suis ta
femme, nous avons un grand train de vie, pense seulement aux domestiques
! "
* Werner
: En fait il s'agit bien de Maurice, mais Aude est trop fatiguée
... elle rêve d'un cornichon qui l'aimerait vraiment.
" Cette
histoire sent trop le pâté ! " se dit Bertrand.
Il avait " trouvé " plusieurs portefeuilles garnis, son proche avenir
bourdelais était assuré - noir -
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Là encore, il
semblerait que l'invisibilité, rendant tout châtiment impossible, favorise
les incivilités et les indélicatesses ; autrement dit : la crapulerie.
" Bien sûr chérie ... maintenant je dois m'en aller. "
Le lapin voleur ressortit donc au milieu de la séance, toujours affamé,
il était 22H48.
" Je repense à Maurice et surtout au soir où ... " - lumière -
Sa
tête étant bien prise, Bertrand rejoignit les quais pour se dégourdir
les jambes.
Il faisait doux et beaucoup de gens se promenaient, il décida donc
de s'exhiber.
C'était vraiment le jour ou jamais, son invisibilité lui permettant
de le faire sans aucun risque.
Il y a évidemment un gros inconvénient, l'effet est nul autant que
la réaction tant espérée, et le petit cri qui va avec.
Mais ce n'est pas sans une certaine excitation qu'Invisible-Man (sans
ses bandelettes) promène son appareil reproducteur sous le nez fin,
mais parfaitement indifférent, des élégantes et hautaines bourdelaises.
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Comme ça
l'amuse, il continue un bon moment, prenant les poses qu'il estime
provocantes, pour finir par les plus obscènes de son répertoire,
finalement assez limité.
Et plutôt conventionnel, à part le " Gland Masturbateur (a) ", et
peut-être l'inaccessible* " Petit Trou Normand (b) ".
Celui qu'il maîtrise le mieux, qu'il possède littéralement c'est
encore une pose, mais très contemporaine :
" Et ton body, ça te va ? "
Il pourrait la présenter à un public bien inverti (pardon, averti)
; reste à le trouver.
* inaccessible
: Plus maintenant, entre deux marées et par temps clair, vous pouvez
l'apercevoir, avec du cidre couché.
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Son invisibilité
n'est cependant pas si totale que Bertrand l'imagine, le soleil rasant
de cette fin d'après-midi projette sur les dalles des ombres fugaces,
celles de ses mimiques ridicules.
Il est heureusement
le seul à y prêter attention, les belles femmes galbées continuent de
voir à travers lui, le transparent.
Alors après son cinéma, l'extraverti lapin fait son cirque ; sans plus
de succès car on est si bien fasciné que par soi-même.
Et il resterait toujours son meilleur public.
Suivant (de
près) les figures libres, les figures implosées, encore plus dangereuses
... et mystérieusement perverses.
Ces contorsions ne sont pas sans effet sur le système digestif du
performer, devenu système répulsif.
Il s'est dégoûté de lui-même, le coeur au bord des lèvres ... mais
il ne peut plus s'arrêter, voulant en montrer toujours plus. |
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Même quand
il n'y a plus rien à montrer.
Au milieu d'un de ses numéros, Bertrand est pris d'un pressant besoin,
il entre comme une fusée dans un moulin au Tagadou, une brasserie
à l'air bien conditionné. |
Il se précipite
dans les luxueuses toilettes, pas pour mater mais pour y vomir une
matière transparente et amère (sans doute un effet secondaire à
retardement de son invisibilité).
Ceci étant fait, il s'essuie la bouche en regardant l'horloge :
" 23 h 57, plus que trois minutes, il faut vite sortir d'ici ! "
Bertrand
savait qu'au douzième coup de minuit il redeviendrait normal, donc
perceptible ; il se hâte donc et émerge à la surface, place du Commerce
Triangulaure.
Bourdelais et bourdelaises y tournaient sur eux-mêmes en costumes
d'époque* avec grâce, il voulut se mêler à la ronde.
Seul problème, il était tout nu.
Et ça se voyait.
* époque
: Epoque opaque, sombre, couleur du bois d'ébène, en ce temps l'argent
n'avait pas d'odeur.
Aujourd'hui in n'a plus de réalité.
Sur
les quais de Bourdeaux,
c'est l'heure de la promenade digestive.
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Aperçus
A Bourdeaux
que du vin salé
Dans peu d'eau
C'est un peu saumâtre .
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