PASCALE
Le 18 mai en matinée à Marrance

 

Marrance lui avait fait un acceuil plutôt frais, glacial même, sentiment qu'accentuait encore le froid perçant qui avait traversé le sud-ouest de part en part durant la nuit.
Dans les rues on tapait du pied sur place en se battant les flancs mais en silence.
Bertrand avait l'impression que les marrançois le regardaient de travers.

Réflexions
croisées
:

W.S.R :
" Et alors ? "

Pascale :
" La vérité est que je m'étais habituée à mon amour imaginaire ... avec lui pas de problèmes ! "

Vu le potentiel danger qu'il représentait pour la paix des ménages, l'harmonie du couple et les bonnes moeurs sexuelles, on le conçoit.
Soit, mais où pourrait le con se voir ailleurs que sur terre ?
C'est une question (con) qu'on ne devrait même pas se poser, surtout en présence des dames.
D'ailleurs on n'en voulait pas spécialement à Bertrand (vous m'avez fait peur !),c'était général, dans la similiville* tout le monde se regardait de travers.

A Marrance, l'inquiétude monte.

* similiville : Marrance est pour de vrai, une agglomération ; construite sur le principe du blotissement, la peur des autres en est le principal (et unique) ciment disponible.
Tel un polypier corallien, la nouvelle non-ville s'étendait sur les champs enviironnants par blotissements successifs.
Son centre est nulle part, et sa circonférence partout.

Le garçon comprit rapidement, d'après les rares bribes de conversations entendues aux coins des pelouses, qu'une série ininterrompue de cambriolages non élucidés avait mis sens dessus-dessous la paisible communauté pavillonnaire.
" CD rom ! " lui avait affirmé un résident, Bertrand lui avait indiqué la plus proche boutique d'informatique.
L'autre était reparti en le regardant de travers.
Normal, on avait osé touché à Sainte Propriété et ce n'est pas bon, cela rend aussi méchant que son chien, qui lui est dressé.

La municipalité avait donc fait installer partout des caméras de vidéosurveillance habilement camouflées et notre lapin clandestin était le héros de leur court (plutôt moyen) métrage.
Depuis on se méfiait des étrangers, et il était un étranger, il le lisait bien dans les regards fuyants de la population.
Cela lui donnait une idée : il pourrait diffuser un avis à la copulation signalant sa distrayante arrivée.
L'endroit ne semblait pas bien choisi car il n'était pas d'ici, dans son propre pays, un comble de l'aliénation.
Remarquez il ne se plaignait pas (il est toujours content) : il venait de vendre sans efforts 2OOO extincteurs à un total inconnu*.

Il n'en était pas encore revenu :
" Merci ma bonne fée Machine ! " salua Bertrand en levant sa tasse de café, solitaire et détendu*à la terrasse.

* détendu : Pas complètement, toujours le même problème.

* inconnu : Pas totalement, il s'agit du célèbre artiste Manqué qui vient d'acheter ce gros lot pour son installation au C.A.P.E* de Bourdeaux dans le cadre moulé de l'exposition " Feux à volonté ".
Il y retrouve ses habituels compères Fernand Raynaud, Daniel Burin et Bertrand Clavier.


Les Fab Fours se reforment, enfin.
A gauche, l'artiste Manqué se console comme il peut. .

* C.A.P.E : Circuit d'Art Post-Experimental.
Sorte de laboratoire de création artistique, en plus sérieux.
C'est au delà de l'expérience, dans un monde où nous ne pouvons avoir accès sans équipements spéciaux (style décodeur, et transmetteur-fuseur*) vu les conditions atmosphériques dépressionnaires qui y rêgnent en permanence.

* fuseur : Indispensable, il réduit considérablement la fulgurance des idées qui, sans ce gadget post-moderne, nous serait fatale.
Les vents de l'intelligence et les cyclones conceptuels y soufflent en de gigantesques tornades qui soulèvent des myriades d'idées qui s'en vont en nuageux cortèges peupler l'éther silencieux.
Et indifférent.
Sans compter la pesanteur, anormalement élevée.

 

Bertrand avait rendez-vous avec l'artiste, il ne voulait (et ne pouvait pas) le manquer ; celui-ci arriva en retard son slip sur la tête et remit à notre commercial un sac plastique contenant une vieille chaussure pleine de billets, neufs.
Le créatif posa quelques surprenantes questions au sujet des extincteurs auxquels il semblait attribuer d'étranges pouvoirs.
Puis le sieur Manqué prit le large, et même le vent du large en louvoyant entre le mobilier urbain.
De temps en temps Bertrand regardait dans son sac plastique ... maintenant il était inquiet lui aussi.

C'était l'heure d'une petite ... cigarette, il chercha son paquet dans sa poche et en profita pour se gratter longuement la couille correspondante.
Il pouvait se le permettre et donc le faire car il n'y avait absolument personne.

Si, il avait juste vu passer devant sa table en courant une pâle adolescente qui se retournait sans cesse, manifestement inquiète.
Une voiture de la gendarmerie était passée juste après à vive allure, il n'y avait pas prêté attention, ne s'intéressant pas du tout aux uniformes, ni à ce qui ne le regardait pas.
Mais il avait bien vu la fille.

Il remontait dans sa voiture quand il revit la même demoiselle toujours pressée qui lui demanda s'il ne pouvait pas l'emmener pour la déposer un peu plus loin, il entendit en même temps la sirène caractéristique.
Cette fois, il fit le rapprochement.
N'écoutant que son désoeuvrement et son amour propre* qui lui faisait se représenter en sauveteur d'une jeunesse en péril, il la prit à son bord sans poser de questions.

* propre : Pour l'amour sale, on verrait plus tard, ou une autre fois.

Avec Pascale, c'était le nom de cette petite agitée, les choses promettaient d'être compliquées.
Tour à tour étudiante, fugueuse, délinquante ou victime de tortueux complots, la jeune fille était avant tout une effroyable menteuse.
Bertrand se perdait complètement au milieu de ses élucubrations, de plus, elle n'avait qu'un sens très atrophié de la propriété, ce qui en clair signifie que la demoiselle volait tout ce qui passait à portée de ses petites (mais ô combien agiles) menottes aux ongles rongées et au vernis rose, en partie écaillé.

Celles du garçon, si baladeuses d'habitude, restaient tranquilles sur son volant, il essayait de la raisonner, lui fit un peu de morale en lui expliquant que ce n'était pas bien de voler (et surtout pas lui !).
Il vit les gouttes légères et transparentes de la culpabilité glisser sur l'imperméable inconscience de l'adolescente.
Quand Pascale lui proposa cambrioler l'agence locale du Crédit Avicole*, il prit vraiment peur et décida que leurs chemins devaient d'urgence se séparer.

* Crédit avicole : La banque des poules mouillées.

 

Simili-ville est truffée de systèmes de surveillance vidéo, difficile d'y passer inaperçu.
Surtout quand on a l'air coupable.

Bertrand emmena d'urgence sa délinquante à la gare où ils s'installèrent au buffet, par précautions, il lui demanda de vider ses poches avant son proche départ, le résultat fut à la hauteur de ses appréhensions.
Car Pascale en profita pour vider aussi son sac.

Sur la table s'empilèrent chéquiers, briquets, bijoux, cartes bancaires, portables, clefs U.S.B de toutes les couleurs, etc ...
" C'est le trésor de Toutencamion ! " s'exclama l'éducateur non-spécialisé en posant vite sa veste sur le tas délictueux.
Bertrand se retournait sans cesse craignant à tout moment de voir débouler la maréchaussée qui ne manquerait de l'inculper de vol, de recel et pourquoi pas, de détournement de mineure.
C'est sûr, il clamerait son innocence, parlerait du respect qu'il a (depuis Germinal) pour le peuple souterrain et finirait par une longue tirade sur le retournement de majeure vaccinée et ses délices.
Mais les faits resteraient obstinément contre lui ... et le garçon était de plus en plus inquiet.
Pascale lui proposa soudain de partager le tas en deux parts égales, une pour lui et une pour elle, du vrai délire ; mais la tentation était grande.

Une paire de gendarmes se profila à l'horizon ferroviaire, Bertrand blémit, essayant de se dissimuler derrière son chocolat refroidi.
Beaucoup d'émoi pour rien du tout (comme souvent), nos deux poulets venaint juste acheter des cigarettes.
Lapin.Blanc.Rapide souffla un grand coup ...il fallait prendre une décision.

Heureusement on annonçait un départ prochain pour Dache, Bertrand fonça acheter un billet (aller) et demanda à Pascale de prendre ce train et de partir de Marrance où elle était devenue un peu trop " célèbre ".
" Pourquoi aller à Dache ! " demanda t'elle (cette question n'a malheureusement pas de réponse).
Il fit aussi promettre à la jeune fille de balancer rapidement son butin dans une poubelle, sans beaucoup y croire.
N'y beaucoup insister car il n'était pas doué pour la morale, surtout celle des autres.
Pendant ce temps les caméras faisaient leur travail : elles enregistraient l'image du lapin blanc à la truffe rose*.

* rose : Son nez rosit quand il est angoissé, là il devait être très inquiet.

Pascale grignotait des chips qu'elle venait de chiper sur le comptoir en lisant des revues féminines obtenues de la même économique et imparable manière.
Il était vraiment temps qu'elle s'en aille.
Ce fût facile de trouver le train car il n'y en avait qu'un. Ils se serrèrent une dernière fois.
" C'est pas Marrance ! " risqua Bertrand pour détendre l'atmosphère plombée.

Les adieux furent difficiles et élastiques, ils ne seraient pas les nouveaux Bonnie and Clyde.

Sur le quai vide, il agita longtemps son mouchoir avant de le ranger dans sa poche et de se rendre compte que son portefeuille avait disparu.
" Bah, elle n'y peut rien, c'est dans sa nature ! " soupira le séducteur dévalisé.
D'ailleurs c'est peut-être naturel de voler, de violer, de tuer ou de se mettre les doigts dans le nez, vu qu'il faut sans arrêt le prohiber ... et rappeler en permanence l'interdit.
Et malgré toutes ces précautions, ces conseils, ces mise-en garde et les possibles punitions ou châtiments, on continuait de le faire.
Pascale était plutôt une gentille fille, il lui manquait juste une petite case, celle où s'inscrit habituellement la différence entre le tien et le mien.

En retournant le miroir introspectif, Bertrand constata effaré qu'il lui manquait aussi un certain nombre de cases, surtout celles qui concernaient ses rapports avec les femmes, soit à peu près la moitié de l'humanité.
Quand même.
Le speaker de la S.N.C.F vint opportunément interrompre son examen de conscience :
" Ding-dong - Votre attention, s'il vous plait - Les voyageurs pour Péligueux sont informés que suite à un incendie généralisé tout les trains pour cette destination sont annulés - merci de votre compréhension - ding-dong "

Il irait donc là-bas se réchauffer un peu car ici, l'ambiance restait bien fraîche.
Devant la gare, le patron du buffet visiblement très en colère, discutait avec les deux gendarmes fumeurs.
En brandissant des paquets de chips vides.
Bertrand contourna lentement la fourgonnette bleue et arrivè au coin du bâtiment se mit à courir comme un fou vers sa voiture.
Une fois à l'intérieur, il souffla un grand coup.
" Maintenant cap sur Péligueux et ses brasiers ! " Il avait déjà tout oublié de ses bonnes résolutions.



Aperçus

A Marrance, observance
On se marre tôt
Mais quand est-ce qu'on l'enclume ?

 

 

 

 
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