MAGALIE
Le 30 mai à Doutain-Gare

 

A Doutain-Gare il y a la gare, le garage Pigeaux ... et puis c'est à peu près tout ;
même les oiseaux ont déménagé leur nid.

Debout dans le petit hall de la gare de Doutain-Gare Bertrand est tout songeur.
Il se masse les reins qu'il a fort courbattus.
" J'ai fait tout ça pour la science ... " se dit-il.
" Et même la con-science ! " se rajoute t'il aussi, pour faire bon poids (stop, c'est assez lourd !).
Fin de son initiatique voyage, il voit défiler les visages (et pas seulement les visages) de celles qui ont animé et peuplé à ras bord son odyssée occitane.
Le poil terne, les oreilles en dedans, Lapin.Blanc.Rapide est déprimé.
La Micheline vermillon s'approche enfin, le garçon y monte, s'asseoit dans un compartiment désert et le petit train de se branler lentement (pardon, de s'ébranler).
On entend de petits cris venant du quai, une jeune fille recouverte d'un K-oway rouge et surchargée de paquets se précipite.

" Regarde, le petit chaperon rouge ! "
Il fallut qu'on le pince pour me croire.

 

Réflexions croisées

W.S.R :
" Vous habitez chez vos parents ? "

Petit chaperon rouge :
" Que vous avez une grande / VRRRR tchi-tchi tchi-tchi ! "

Le reste de la phrase s'est malheureusement perdu, emporté par la matrice (pardon, la motrice) trépidante.
Dommage, nous ne le serons jamais.

La retardataire grimpe toute essouflée, les joues encore roses d'avoir si bien couru.
De longs miaulements répétés retentissent dans le compartiment, ce n'est pas Bertrand mais le chat dans son panier.
On sort l'animal angoissé tout en échangeant quelques amabilités ... car le garçon essaye d'être Aimable*.

* Aimable : L'accordéoniste à l'innefaçable sourire, même sous la torture (et grand ami d'Yvette Ornière).

Il en ressort péniblement que le petit chaperon rouge s'appelle Magalie et va chez sa grand-mère passer une partie de ses vacances scolaires.
Ni galettes, ni petit pot de beurre, juste un sandwich jambon-beurre (ah, vous voyez!) - cornichons qu'elle dévore, donnant la couenne La demoiselle installe sur son giron le féfin déjà ronronnant :
" Je caresse ma petite chatte noire ! "
Bertrand se sent revivre.

" Chut, la toison dort ... " lui murmure sa sereine petite voix et il glissa dans une moelleuse rêverie.

 

 
 

 

Moelleuse c'est le mot car il s'y trouvait dans un lit profond et large comme ... comme un nuage.
Heureusement car il n'y était pas seul.

Son septième ciel fait des envieux :
" Eh you, get off of my cloud ! "
Dans les cieux l'anglais est aussi langue internationale.

.
C'est le moins qu'on puisse dire : Sophie était là, toujours très concentrée, Eolienne aussi, sa bienveillante patronne, Schéhérazzade (l'habile commerçante de ses charmes) et Lise, sa collègue bien aimée (j'espère !), l'insupportable Cléodonte et la douce Catherine.
Patricia !
Justine en flicette artiste et Pierrette toujours en colère, Vondaire-Woman qui venait de se poser en combinaison spéciale pressurisée (avé les dentelles !).
Agnès T. la terrible nymphomane du sud-ouest, Camille, ça alors !
La gigotante Donatienne, Elodie aux longs bras, les brûlantes jumelles, Julie la sirène ...
Elles étaient toutes* là et regardaient Bertrand avec curiosité.

* toutes : Elles ne sont évidemment pas " toutes " citées, ce serait un peu long.
Et puis il ne voyait pas tout le monde.
Les absentes n'ont pas toujours tort.

Le petit nuage était plein comme un oeuf.
Mais même au septième ciel, il faut bien s'occuper un peu.
Bertrand proposa un petit jeu de société érotique.
" Oh oui, oui ! " crièrent les (très) intéressées.
Le garçon en expliqua rapidement la rêgle qui était d'ailleurs fort simple : c'était une sorte de " blind-test " ou test en aveugle qui consisterait pour Bertrand à identifier au toucher et à sa caresse laquelle des personnes présentes état à son contact.
Sans la voir évidemment.
Cela peut paraître facile* mais vous verrez que ce n'est pas si simple.
Par contre c'était très simple à organiser.

* facile : Pas besoin d'être au septième ciel pour y jouer, on peut le pratiquer partout entre amis, dans les réunions de parents d'élève ou de copropriété, au travail (pendant la pause*) et bien sûr au cinéma.
Car il détend l'atmosphère, à défaut de détendre le muscle.
Il faut juste un nombre minimum de participantes.

* pause : Soyons sérieux pour rester compétitif.

" On ne va pas vous payer à vous branler ! " lui répète constamment son patron. Malheureusement si.
La décontraction n'excluant pas le sérieux, Bertrand avait fait distribuer des petites fiches expliquant à l'aide de jolis petits dessins comment s'y prendre avec lui.

Précaution inutile*, la plupart des participantes sachant très bien ce qu'elles avaient à faire.

* inutile : Et assez mal perçue :

" Nous prendrait-il pour des gourdes ? " .
Autour on papote et on échange des nouvelles*, bref on se disperse..

* nouvelles : Ah, il y a des nouvelles ?

" Mesdames, s'il vous plait ? " appelle le lapin impatient.
La fine partie pouvait commencer, la première concurrente s'approche, Bertrand sentit ses mains fraîches, il eut un petit frisson, puis il se concentra sur la sensation :
" Hmmm ! ça c'est Marie-France, sûr !


Ravie, la sportive biterroise tape des mains, ça fait toujours plaisir d'être reconnue, surtout après tout ce temps (presque un mois) !
Ca commence plutôt bien*. "

* bien : Vous trouvez.

Sur leur petit nuage, les candidates se concentrent elles-aussi en s'échauffant les doigts, les voici dans l'ordre de passage, la tension est palpable (mais pas tout de suite)

Ah, on s'agite dans la ouate une nouvelle joueuse s'approche à pas de louve.
Bertrand se prépare ...
" Ohohoh ! Ohoh ! " dans un râle le garçon annonce : Sylvie Rousbol, l'honneur de sa profession !
" Bravo, gagné ! " annonce Joyeusement la visiteuse médicale, toujours aussi efficace.
" C'est vous docteur, je l'aurais parié, vivement que je sois malade ! "
Pas le temps de s'attendrir, déjà une nouvelle concurrente !
Le garçon se concentre, il fait le vide dans sa tête (heureusement, c'est rapide) :
" Aahhhh ! " il hésite.
" Aahhh ! Je prends mon joker* ! "

* joker : Bertrand a droit à 2 jokers, il en utilise un ici, il doit avoir ses raisons.
En tout cas c'est bien joué !
Et c'est surtout bien pratique pour éviter les histoires.

Quelques petits rires fusent, tout le monde est joyeux sur le cumulo-nimbus.
Car au septième ciel, on s'amuse d'un rien.

Mais ça ne nuit pas au sérieux de la compétition, certaines continuent de s'entraîner jusqu'au dernier moment, histoire de ne pas perdre la main.

Assurément de futures championnes !

D'autres profitent avec indolence du trou dans l'ozone, on verra le résultat.
Dans quelques années lumières.

Lapin.Blanc.Rapide lui est déjà prêt, il perçoit de curieux cliquetis de ferraille, puis une main douce mais glacée vient se poser sur son membre fondateur, actif et donneur :
" Ouh la là, c'est froid ... ah, là c'est mieux ... Vondaire-Woman ! "

On entend de petits applaudissements et des murmures approbateurs.

Bertrand en a la chair de moule (pardon, de poule).

Déjà les conversations et les apartés reprennent, quelles pipelettes !
Il réclame un peu de silence ... et de discipline.
Le garçon a tout bon jusqu'à maintenant, tant mieux car c'est un jeu où l'on a pas le droit de se tromper, une seule erreur, une malheureuse confusion, et tout s'arrête.
Quelques éclats de voix, on semble avoir du mal à désigner sereinement la prochaine candidate.

Déçues, certaines s'en vont bouder plus loin dans la stratosphère ... c'est bien des filles !
Le silence floconneux revient (on a profité de ce léger temps-mort pour talqué et huilé le muscle de Bertrand, qui a été déjà bien sollicité).

La partie continue, quelques petits pas feutrés et puis la caresse ...
Chaude, directe et insistante.
Cela lui rappelle de suite des souvenirs, la mer, les palmiers, les poissons-volants ... ah s'il pouvait seulement la sentir* !

* sentir : Nous avions oublié de préciser que durant toute la durée du jeu, le garçon aurait une pince à linge sur le nez, pour éviter toute identification autre que tactile.

Il a bien une idée mais il n'ose pas le dire ... ce n'est pas possible, cela fait si longtemps ... et puis personne n'est au courant !
Bertrand fait fonctionner son intelligence, il a raison :
" Vous pouvez recommencer s'il vous plait ? " (il en a le droit, une seule fois par partie gratuite).
Et ça recommence effectivement : la mer, les palmiers, les poissons-volants, comme un ouragan ... le vent chaud ...
Ses souvenirs sautent partout comme des poissons dans le lagon bleu.
Il y en a même trop ...
Qui est donc la mystérieuse inconnue ?
En tout cas elle n'est pas maladroite !
Il lui demanderait bien de recommencer encore une fois mais il n'en a plus le droit, il doit se décider :
" Eolienne ! " risque timidement Bertrand, mais il a un doute.
" Oooooh ! "
Long murmure de déception qui se perd dans l'espace fermé, hypersphérique et homogène.
Tout a disparu d'un coup, il a du se tromper ...
" C'est à cause de la bague ! " pense t'il de suite.
Le garçon tombe en chute libre de son nuage.

 

 
 


Et il se retrouve dans le petit train rouge avec la chatte de Magalie sur les genoux.
" Miaou, miaou ! ", l'impatiente féline s'agitait.
La Micheline ralentit, on approche d'une gare, la jeune fille saute sur ses affaires, remet son chaperon rouge, c'est là qu'elle descend.

Sur le quai une vieille dame attend qui lui ressemble beaucoup, sa mère-grand sans doute.
Elle lui ressemblerait encore plus sans les ajouts et les modifications que le grand âge avait apporté à ce visage autrefois aussi lisse que celui de sa petite-fille.

Difficile d'imaginer que, si ce monde existe encore, dans une soixantaine d'années la tendre Magalie attendra à son tour,sur le quai d'un astroport, une fusée ramenant sa petite-fille d'un week-end sur Mars où elle aura pris de belles couleurs.
Le temps donne leur beauté aux femmes, puis il la reprend.
C'est cruel et peu agréable, mais la beauté ne se perd pas, elle va se redéposer plus loin, plus tard sur d'autres nymphes qui attendent, encore informes, d'être révélées.

" Billets, s'il vous plait ? "
La contrôleuse s'interroge sur la pince à linge que Bertrand a gardée sur son nez.
" Encore une qui a oublié d'être vilaine ! " contrôle à son tour le garçon en fixant le joli nez pointu de l'agente S.N.C.F.
qui fleure bon le lilas.
Sa théorie se vérifie en permanence, c'est déjà ça.
" Vous allez-où pincé comme ça ? " demande la fonctionnaire intriguée.
"Je ne sais plus" ... répond vaguement Bertrand, mais j'ai un ticket, c'est sûr ... avec vous ? "
Il sort son titre de transports amoureux.
" Il est encore valide, j'espère ? " s'inquiète t'il.
La contrôleuse vérifie : " Oui, toujours valable ... mais ça n'a rien d'un ticket modérateur, ce serait mieux pour moi si vous aviez une réduction, disons 50 % ! "
Nobody's perfect !
Bertrand imagine la gentille agente sans sa casquette, ni son gilet gris, c'est vraiment possible :
" Avec vous je prendrais bien un abonnement ! "
" Pour faire de nombreux allez et retours sans doute ? " répond la dame, avant de le poinçonner du regard.
Le lapin voyageur regarde la femme s'éloigner en ondulant entre les sièges vides au rythme de sa machine roulante.
Aujourd'hui il se sent T.E.R (Trés.Erotique.Rabbit), sûrement pas T.G.V (Trop.Grande.Vitesse) ...

" Chic, nous allons rentrer dans un tunnel ! "
Pas très long mais plutôt humide.

Ce qui est usant avec Bertrand c'est qu'il est si totalement prévisible.

Mais attention, un garçon peut en cacher un autre !
Lequel ?
Celui qui est à la recherche du bonheur.
Tiens donc, c'est nouveau, et d'où lui vient une idée pareille ?
Il a du la chiper quelque part.

C'est vrai, cette idée n'est pas de Bertrand, il a surtout vu ça au cinéma et plus encore dans les séries télévisuelles. Invariablement dans ces fictions, quand les gens sont heureux ils courent au ralenti* dans un pré fleuri.
Que font-ils arrivés au bout du champ ?
Sans doute demi-tour pour courir dans l'autre sens et ainsi de suite jusqu'à ce que leur bonheur les lâche un peu afin qu'ils puissent reprendre leur respiration et peut-être faire une petite collation*.

* ralenti : C'est mieux pour Bertrand qui n'a plus beaucoup de souffle.

* collation : C'est un repas léger, pas un truc où l'on se colle.

 

Le bonheur il ne peut que lui courir après, son rêve blond va trop vite :
" Ouf, ouf, attends-moi donc ! "

On connaît aussi une version de façade maritime du bonheur où l'on court (toujours) mais dans le sable et les pieds nus.


La baie du Mont Saint-Michel s'y prête mais seulement à marée basse, sinon on n'avance pas, on patauge.
On peut aussi être heureux chez soi en courant en rond dans le petit jardin, c'est encore plus vire vertigineux.
Ajoutons que pendant leur course folle, les heureux rient aux éclats sans jamais s'arrêter.
Un état que notre sérieux lapin ne connait que sous l'influence hilarante des bonnes herbes de Provence.

En cela, il est encore vert, joyeux aussi, mais avec discrétion.
Donc le bonheur ce n'est pas pour Bertrand.
Ni pour demain.

 

Aperçus

A Doutain-Gare, lisez bien le journal
Ainsi vous m'en tirez
Des nouvelles ?

 

 

 
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