SOLANGE
Le 10 mai à Fauzerte

Bertrand avait décidé de se cultiver un peu, ce qui n'est pas toujours bon signe.
C'est le genre d'idée ne lui venant que lorsqu'il s'ennuie beaucoup, et c'était le cas à Fauzerte*.

* Fauzerte : Bourgade composite qui a de faux airs d'un peu partout.

Obéissant à un pur instinct de conservation de sa structure, il prit un billet pour visiter la vénérable abbaye et son somnolent musée lapidaire.
Il avait d'abord lu " Musée lapinaire* " ce qui l'avait rempli de ... de quoi déjà ?
De joie sans doute, en tout cas il était bien rempli : enfin on rendait hommage aux lapins !

* lapinaire : C'était peut-être un musée sur la pine (il y a bien le musée de la mine à Saint-Etienne, ce n'est pas moins intéressant).

En quelques bonds, l'animal en lui le propulsa sur place, survolant les jardinets où les fauzertoises faisaent la bronzette.

La déception fût normalement à la hauteur de l'espérance, pas plus, pas moins.
Que des vieilles pierres souvent cassées, recouvertes d'incompréhensibles messages.
Depuis il y errait comme une âme en panne.
L'arrivée dans la cour d'un rutilant car bondé de touristes réveilla l'attention vacillante du jeune homme.
Une volée caquetante et froufroutante jaillit du transport en commun, Lapin.Blanc.Rapide en fut lui-même transporté mais tout seul (du moins pour l'instant).

Diablement intéressé par ces créatures venus d'ailleurs (du Bénélux, c'était marqué sur le véhicule à deux étages), Bertrand se rapprocha subrepticement prenant l'air d'un quelqu'autre absorbé par l'étude attentive des vieilles pierres.
Et uniquement cela.

 


Il se fit facilement passer pour un érudit local spécialiste d'inscriptions anciennes et proposa ses services incompris pour leur traduction. Une de ces nordiques créatures, en élégant tailleur, accepta qu'il lui serve de guide bénévole, elle s'appelait Solange, était luxembourgeoise et voulait tout savoir.
" Quel luxe en bourgeoise ! " se disait Bertrand, sa myopie simulée lui permettant de coller son nez sur le corsage rebondi de la touriste.
Devant l'impressionnante collection de pierres gravées, le jeune homme sentit l'inspiration l'abandonner, les fragrances du suave parfum*de Solange lui redonnèrent du courage.

* parfum : c'était Chamel numéro 5, il en était sûr !

Réflexions
croisées
:

W.S.R :
" Voila, on ne voit plus rien ! "

Solange :
" Je me demande pourquoi j'ai dit une chose aussi stupide, franchement ! "

Il l'interrogea sur le Luxembourg, si c'était un vrai pays, une radio périphérique, un gâteau épais ou un calembour.
Elle répondait patiemment à ses questions, même les plus idiotes.
Un fronton finement sculpté puis dûment vandalisé par d'ascétiques réformateurs leur fit brusquement face, on y discernait encore, malgé un martellage obstiné, deux angéliques visages dans un médaillon :
" Incroyable ! s'écria Bertrand en lui prenant le bras, la jeune fille à gauche c'est vous, Néferpipi qui veut dire Solange en vieil étrusque, et toc ! "
" Et Cafétéria veut dire Bertrand en sumérien, je suppose ? " commenta la bénéluxoise en battant des cils.
" Vous comprenez vite ! "
" C'est parce que vous m'expliquez longtemps ! "
Arrivé dans la salle suivante, Bertrand se précipita pour couvrir les yeux de la jeune femme.
" Ne regardez-pas, je vous en prie ! "
" Et pourquoi donc ? "
Solange écarta ses mains :

" Quel ravissement, et quelle grâce ! " s'écria la bénéluxurieuse.

" Ce sont des scènes du Calma-Foutra*, reprit Bertrand, elles nous viennent de l'ancienne Indochine*. "

* Calma-Foutra : Ni plus, ni moins qu'un mode d'emploi, il faut cependant bien lire les notices de montage et d'assemblage.
Aux risques de se trouver dans de périlleuses et instables situations.
Une variante auvergnate existe le Calma-Fouchtra, idéale pour occuper les longues veillées hivernales, en cassant des noix.

* Indochine : Simplement par la poste qui recevait chaque jour des centaines de pesants colis
" Allez-y, ouvrez les Guillemais* ! " criait rituellement le receveur de l'époque, un sieur Lalune, demandez-lui, il se rappelle peut-être de quelque chose.

* Guillemais : Explorateur-exportateur hyperactif, il démontait tout ce qu'il trouvait avant d'immédiatement l'envoyer à Fauzerte, sa ville natale, dont il est devenu le bienfaiteur (le musée porte son nom, depuis longtemps ... et c'est lourd !).
Dans sa frénésie il démonta même une station-service toute neuve, et un pont colonial.
Les fièvres sans doute, on dut l'interner en métropole.

A ses rares moments de lucidité, Guillemais devenait marchand de tapis siamois (par 2) dont il possédait une fabuleuse collection (la plus grande du monde !).
Il en avait fait don à sa propre fondation à cause des impôts ; en longeant les longs murs couverts d'extrèmes-orientales tentures, Bertrand eut une révélation :

" Ils ont du être envahi par les javanais, ce n'est pas possible autrement ! "

" Vavous nave cravoyavez pas savi bavien davirave ! " confirma un visiteur originaire du même sud-est asiatique.
" Fermeture des Guillemais ! " annonçait pour des raisons budgétaires une employée du musée.
On change de salle ... mais pas de sujet.
De digressions en digressions, nous avons perdu de vue notre héros et sa touriste préférée qui ne sont pas perdus de vue, eux, toujours égarés dans cette luxuriance post-coloniale.
Les seules colonies que Bertrand connaissent sont les colonies de vacances, dépourvues d'exotisme, mais pas d'érotisme pour autant ; il eut soudain envie de dire quelque chose d'intelligent :
" Regardez chère Solange, le raffinement et la précision des détails ! "
Elle vint se caler devant lui; puis fixa intensément la dentelle de pierre où des dizaines de corps enchevêtrés s'aimaient dans toutes les configurations possibles et inimaginables*.
Ou irréalisables, sinon par une gymnaste impubère et très souple (comme Soupline, la russe).
" Montrez-moi votre position préférée Bertrand ! "
Le garçon rougit (chacun son tour) et désigna timidement un couple de danseuses à la fameuse triple courbure emmanchées sur un yogi au sexe curieusement bifide qui lui permettait de satisfaire (apparemment) les deux en même temps.
Pendant qu'avec ses quatre bras, deux de chaque côté, il massait vigoureusement leurs huit seins.
Deux à la fois, bravo ... la performance impressionnait beaucoup Lapin.Blanc.Rapide, quel gain de temps !
" Pas mal ... j'aime bien leurs bracelets de cheville ... moi c'est celle-ci que j'aime le plus ! " indiqua la luxembourgeoise enthousiaste d'un doigt long et bagué.

Le garçon mit son gros nez sur la pierre froide.
La scénette était compliquée et impliquait un bon nombre de personnages des deux sexes plus quelques placides bovins à longues cornes ... indescriptible.
.
Bertrand devint pivoine : " Ah bon ... mais sans le zébu ! "
" Pffou ... qu'est-ce qu'il fait chaud dans ce tombeau ! "

Bertrand prévenant :
" Vous voulez que je vous aide ?
Quels beaux volumes et ... quelle belle jounée ! "

 

Ils sortirent de l'empire des sens tout chose.
Devant un gigantesque linteau, Bertrand improvisa cet autre fantaisiste déchiffrement :
" VOTOULOTEZ COTOUCHOTER OTAVOTEC MOTOI COTE SOTOIR "
" J'y suis, conclut-il, c'est de Mostradanus, c'est complètement prémonitoire, une sorte de prophétie ! "
Solange le regardait perplexe et il regardait Solange, bleu.
" Autoréalisatrice sans doute, une invocation de Lyon, un voeu pieu ? " demanda-t-elle en se regardant les ongles.
" Pieu, c'est cela, pieu, on ne peut pas mieux dire ! " confirma sentencieusement Bertrand en fixant sa braguette distendue.


Heureusement ils arrivérent dans une chapelle catholique et Bertrand baissa (la voix) :
" C'est la chapelle du Gland, c'est ici qu'était conservé jusqu'à récemment le gland de Saint-Ture* dans un caisson de décompression reliquaire ... on lui attribuait des super-pouvoirs dans le domaine de la sexualité ... "
" Ah bon ! " murmura Solange.
" Et les femmes venaient discrètement se frotter contre le reliquaire pour favoriser leurs affaires ... " continua Bertrand, toujours à voix basse.
" Et on ne peut plus s'y frotter du tout ? " demanda la fille d'Eve.
" C'est récent, le Saint Gland a été dérobé (on se demande !) et le vieux culte aboli ! "

* Saint-Ture : Saint-Ture est un saint peu populaire surtout à cause de son opposition radicale à toute forme de sexualité.
Même celle des fleurs que, par une extraordinaire pudeur, il recouvrait d'un petit chapeau de toile en forme de gland.
D'où son nom, et cette note de vieille religieusité, ding !
Ou plutôt : dingue !
Et comment dong !

" Je voulais vous montrer quelque chose ... ah, voila ce que je cherchais, regardez : c'est Adam et Eve chassé du paradis maintenant perdu.
Qu'en pensez-vous de toute cette histoire ? "
" Rien ! " répondit Solange ... c'est votre point de vue masculin, ça ne peut pas être le mien ! "
Par contre elle trouvait Eve très belle.
" Elle vous ressemble ! " s'étonnait le garçon.
La jeune femme rosit puis sortit de son sac Herpes une gigantesque cigarette qu'elle alluma aussitôt avant de la tendre au Lapin.Blanc.Rapide déjà stupéfait.
" C'est la carte du tendre que vous m'avez fait parcourir Bertrand, en accéléré ... pourquoi pas ? " conclut Solange dans un nuage bleuté.

 

Le garçon fuma à son tour, toussa beaucoup, devint tout jaune et eut soudain besoin de sortir de cette crypte humide et froide.

Ils firent un tour du cloître la main dans la main, puis un deuxième les yeux dans les yeux et un troisième tour " donneur " (la bouche dans la bouche) avant d'aller s'allonger dans un grand sarcophage mérovingien.
Vide, bien sûr et depuis longtemps.

Solange ôta d'un geste rapide et aisé ses talons hauts, Bertrand avait les yeux rouges et les mains subitement très moites, il ne cessait de se répéter :
" Je me préserve hâtif, je me préserve hâtif ... "
Si la décence veut bien nous le permettre, nous dirons qu'il était bien raide.

Au soleil, sur le gravier, roucoulaient sans fin les pigeons ...
Plus haut, Solange plane à l'ombre.
Bertrand monte pour aller s'allonger à ses bas-côtés, pour bien se garer.
Mais il ne coupe pas le contact, tout fard éteint et tous feux allumés.

Soudain ils virent qu'ils étaient nus, et ça leur fit quelque chose.


" Tuuut-tuuut-tuuut ", trois impérieux coups de trompe suivis de l'hymne luxembourgeois retentirent dans le silence bénédictin.

Deux têtes affolées sortirent de l'antique sarcophage, il y eut un bref instant de panique.
Dépeignée, poussiéreuse, ses chaussures à la main, Solange traversa rapidement l'esplanade tout en se rajustant.
" Vous avez du avoir chaud pendant la visite, vous êtes toute rouge ! " s'inquiétaient les autres voyageurs alignés devant leur croiseur routier à deux ponts.
Un employé du musée court vers le groupe :
" Vous avez perdu ça ! " dit-il tout essouflé en tendant à Solange une minuscule culotte à pois verts de chez -tut-tut- qu'avec beaucoup de classe la jeune femme glissa prestement dans son sac si chic.
Il lui donna aussi une pomme, et pas n'importe laquelle , une " Belle de Fauzerte " aux si caractéristiques rondeurs, Solange croqua immédiatement dedans de toutes ses jolies dents.
Avant d'aller rejoindre sa place sous le regard indigné et furibond de ses compatriotes femelles qui l'avaient vainement cherchée de partout.
Et qui n'en pouvaient plus de curiosité.

Des anges passent faisant un peu de rangement.

Bertrand attendit un moment puis quitta à regrets le cerceuil de pierre de l'ancien franc.
" Après ce qu'il a vu, il ne pourra plus jamais se retourner, même dans sa tombe ... "
" Un peu de respect ! " s'alarmait un nouveau franc en le voyant descendre du bloc de pierre usée.
A poil.
Les pieds de nouveau sur terre, le garçon s'enroule pudiquement dans une liane pendante de vigne vierge et répond à l'intégriste culturel :
" Monsieur, je suis aussi patriote (mais presque), un vrai gaulois, Bertranus Olibrius ... celte par nécessité, mais toujours enfant ... de coeur !

" Puis le vert Adam* s'éloigne en faisant la roue, pour donner le change.

* vert Adam : Il en avait besoin car il avait encore la bouche bien pâteuse.
Ainsi il pourra enfin se brosser.

Le majestueux vaisseau autoroutier passa en faisant crisser le gravier de l'esplanade, sur sa plaque arrière, on pouvait lire LUX, en grosses lettres.

Epilogue

Ils ont été chassé du paradis et se retrouvent, en plus, couverts de boutons.
Mais ils ne sont pas mécontents pour autant.
Dieu et le serpent tentateur sont par contre dépités :
" Même pas honte ... où va t'on nous ? "

 

Aperçus

A Fauzerte, avec un flan détaillé
On s'active manuellement
Le plan zobsec

 

 

 
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