SOPHIE
Le 29 mai à Cunuchon

Cunuchon est inscrite au patrimoine mondial de l'humanité, c'est la panneau qui le dit.
Une garantie d'authenticité pour l'antique cité dont c'est aussi l'obsession.
Impossible de modifier ou seulement déplacer quelque chose dans ce conservatoire grandeur nature.
Sinon avec des gants blancs, mit gracieusement à disposition dans de très moyenâgeux distributeurs en pierre (de taille, s'il vous plait !).
" Authentique mais déserte ! " se disait Lapin.Blanc.Rapide.
" Préservation, réservation ... "

Les premiers habitants croisés s'étaient sauvés à toutes jambes quand Bertrand avaient voulu leur parler, il avait enfin réussi à en coincer un contre une (authentique) margelle qui sonnait bizarrement le creux.
Toute fuite étant impossible, le cunuchonnais avait fini par lui répondre :
" Un bowling à Cunuchon ?
Voui, il y en a un, il n'y a même que ça ! "

Bertrand était renseigné.
Vu que c'était le seul endroit de la région ouvert après 19 heures, tout le monde y était.
Le garçon s'y glissa l'air de rien ... que des jeunes, il n'avait rien contre ... au contraire.

Enfin là, c'était un peu beaucoup en même temps.


Déjà on lançait de grosses boules de partout, comme le jeu ne l'intéressait pas du tout, Lapin.Blanc.Rapide regarda les joueuses.
Alignées devant les pistes elles tripotaient nerveusement (ou rêveusement) les boules, certaines les caressaient amoureusement, d'autres les embrassaient avec ferveur avant de les jeter.

Boule : " J'arrive ! "
Quille : " Surtout pas ! "

Mais ce qui était vraiment fascinant, c'était d'observer ces demoiselles au moment du lancement.
Pour cela il fallait être situé bien dans l'axe des pistes, mais les places étaient chères.
Bertrand ne lâchait pas la sienne, ni son verre plein.
D'ici il pouvait voir de derrière s'élancer les bowlingueuses souples et cambrées.
Leur popotin décrivait alors dans l'espace une double ellipse (en trois dimensions) qu'Euclide aurait aimé décrire pour s'en faire un axiome réchauffant.

Boule : " Je vais me la faire ... "
Quille : " N'approchez pas ou je crie ! "

Les garçons alignés jugeaient de la performance qu'ils commentaient sobrement :
" Elle est bonne ! " ou " Elle est super bonne ! ", un " Elle est trop bonne ! " saluait les sujets doués, les plus remarquables lanceuses étant gratifiées d'un " Elle est grave bonne ! " admiratif.
Arrivés à cette hauteur, les superlatifs se faisaient aussi rares que l'oxygéne au sommet de l'Everest.

Une nouvelle sportive s'approche, suivant les critères de Bertrand, elle est " bien bonne " et il s'apprête à admirer son ... sa performance.
Mais un abruti titubant vient se poster juste devant lui, le lapin en colère veut protester mais comme l'autre, en plus d'être rond, et aussi carré*, notre rongeur laisse sagement tomber ... une quille sur la tête vide.

* carré : Ce naze aurait donc résolu la quadrature du cercle ?
Impossible !

De cette élite arrondie, une fille se détachait, plus " grave bonne " encore que ses concurrentes.
En fait elle survolait littéralement la compétition, il n'y avait pas photo, et c'est bien dommage !

Boule : " Nous y sommes presque ! "
Quille : " Maman ... que faire ? " ...

Après une légère et ondulante course d'élan, à l'instant précis où elle allait enfin lâcher la boule, son cul dessinait nettement dans l'espace le signe de l'infini.
Puis elle retournait modestement à sa place alors que ses (nombreux) copains criaient :
" Bravo Sophie, well done, you are the best, vive Sophie ! " .
Sa discrétion intriguait le jeune homme, et le séduisait complètement.
Le sort des pauvres quilles restant complètement indifférent à Bertrand l'observateur, l'important, pour lui, c'était le style !

Boule : " Je te sens si proche ... et pourtant intouchable. "
Quille : " Tu n'as qu'à pas être aussi maladroit ! "

Et Sophie avait du style, et surtout son style, tout de retenue, d'équilibre, et de sûreté.
Bertrand sous le charme décida de faire sa connaissance, à tout prix.
Pas facile car la donzelle était bien entourés, une foule de jeunes hommes la pressaient au grand dépit des autres filles qui ne recueillaient que des miettes d'attention.
C'était mission impossible car comment faire pour briser le cercle des adorateurs et prétendants ?
Comme souvent quand il était coincé, la maladresse de Bertrand vint à son secours.
Il s'était décidé à lancer une boule pour voir l'effet que cela pouvait faire et (peut-être) ne pas mourir idiot mais sa distraction était telle que la lourde sphère noire atterrit sur la piste d'à côté où elle alla bousculer quelques quilles survivantes.
Rien de bien grave, sauf que son irascible voisin était persuadé que Bertrand l'avait fait exprès, on frôla le stupide pugilat


Boule : " Grrr ... encore ratée ! "
Quille : " Ouf ! "

Notre héros se confondit en excuses et sortit en reculant de l'aire de jeu, ce faisant il bouscula une table chargée de consommations et, voulant réparer sa maladresse, il renversa, pour de bon cette fois, une autre table située derrière lui.
Les clients le regardaient effarés ne sachant plus s'ils avaient affaire à un dingue, un plaisantin, un provocateur ou, qui sait ?
Un terroriste.
Sophie, qui n'avait rien perdu de la scène, était écroulée de rire.
Bertrand était en face d'elle, penaud mais content de la voir s'amuser, et de l'avoir amusée, Il lui fallait dire quelque chose et comme toujours dans ces cas là, ce fût une vraie honte :
" Vous tirez toujours aussi bien ? commença t'il, je veux dire, on voit que vous avez l'habitude, vous devez le faire souvent ? "
" Tous les zamedis zoirs et zouvent en zemaine auzzi ... répondit la championne qui avait un délicieux défaut de prononciation, elle zozotait légèrement ... mais izi ze n'est pas drôle, on manque de partenaires habiles, comme vous ! "

Elle en riait encore et Bertrand se crut autorisé à continuer son baratin, sa drague à moules, son rentre-dedans (si seulement !) :
" Ce sont tous des brutes qui ne pensent qu'à faire tomber les filles, pardon, les quilles ! "
" Et vous n'êtes pas comme za vous ? " demanda la demoiselle, du tac-au-tac.
" Euh ... si, mais ce n'est pas pareil ... "
" Et pourquoi donc ? " continua d'interroger Sophie sans le quitter des yeux.

Un silence pendant lequel passa un ange qui poussait en soupirant une brouette chargée de boules noires.
" Je ne sais plus quoi dire ! " avoua Bertrand.
" Alors ne dîtes rien ! " conclut normalement la jeune fille qui décidément avait de la logique et de la répartie.

" Elle est trop forte, impossible de lui damer le fion (pardon, le pion) ! " pensait le garçon.
Sophie avait ce qu'on appelle une tête bien faite (et bien pleine) mais pas seulement la tête comme nous l'avons vu plus haut, et plus bas.
C'est ce qui poussait Lapin.Blanc.Rapide à persévérer malgré son sur-place réfrigérant.

Baignée dans la lueur des néons, Sophie ; un prénom qui voulait dire sagesse chez les grecs.
Elle le porte bien sagement.

La jeune fille analysait simplement, froidement et quasi-scientifiquement tout les problèmes, après seulement elle décidait de son action.
" En voilà une à qui on ne fera pas perdre la tête facilement, mais à lapin vaillant rien d'impossible ... il doit sûrement y avoir une solution, une façon de la déstabiliser ! "
Sophie avait tout étudié, la dérive des continents, la tectonique des plaques, la physique des particules (élémentaire !), la relativité générale, et restreinte de l'existence etc ...
Il fallait donc lui poser un problème qu'elle ne connaissait pas encore.
Car sous les épaisses couches empilées de savoir, Bertrand devinait une nature ardente et passionnée.
C'est du moins l'histoire qu'il aimait à se raconter.
Les derniers clients du bowling venaient de sortir et on éteignait sa clignotante façade.
Lettre après lettre, les majuscules en néon mauve disparaissaient dans l'obscurité, il ne restait plus que C.U.N.U.
Sophie observait le phénomène, avec intérêt.
Et Bertrand se creusait les méninges, chez lui c'était vite fait, il touchait assez vite le fond.
Un couple d'attardés se frottaient avec l'énergie du désespoir contre un arrêt de bus, ce fut le déclic :
" Proposons lui d'étudier ensemble (et de se pencher dangereusement) sur le délicat problème des frottements. " ce qu'il fit aussitôt.
Sophie mit ses lunettes que par coquetterie (ah,ah !) elle enlevait pour sortir le soir.
" Les frottements dîtes-vous, z'est un problème intérezzant, mais de quel type de frottements parlez-vous, je m'y connais (un peu) en tribologie, je pourrais peut-être vous aider ... "
" Euh ... le frottement horizontal est celui qui m'intéresse le plus, en fait il me passionne depuis l'adolesence, mais me il pose cependant toujours quelques problèmes. "
" Lesquels ? " questionna la jeune fille soudain très concentrée :
" Za m'intérezze beaucoup, allons étudier za dans mon laboratoire ! "
Son laboratoire était juste à côté, en fait ils y étaient déjà.

Un laboratoire, juste à côté du bowling, à Cunuchon ?
C'est économiquement impossible, socialement improbable et complètement idiot !

" Vous pouvez le dire, la fiction permet justement d'inventer n'importe quoi."

Il n'empêche (à la ligne !)
Bertrand et Sophie sont bien dans le laboratoire de cette dernière, derrière le bowling de Cunuchon et ils se font face à face. "
Par où commenzons-nous Bertrand ? " demande la demoiselle.

 


Le laboratoire cunuchonais

 

 

" Chére Sophie, mon opinion est que dans nos recherches il y a trop de théorie et pas assez de pratique ! "
" C'est vrai ! " répond la jeune fille et elle commence à se déshabiller.
Bertrand en croit volontiers ses yeux.
Sophie est en petite tenue d'Eve, et sans lunettes, elle regarde le garçon :
" Allez-y Bertrand, on a du travail ! "
Comme il est très pudique, Lapin.Blanc.Rapide se glisse derrière le tableau noir pour ôter ses vêtements ; se faisant, il explique à Sophie comment ils allaient procéder :
" Allongeons-nous et glissons en souplesse l'un sur l'autre jusqu'à ce que nous n'entendions plus qu'un léger clapotis ! "
Sophie se couche sur le dos, le garçon vient sur elle et ils commencent leur " frottement ".
Au bout de quelques minutes de va-et-vient Bertrand demande :
" Alors, chère Sophie, que ressentez-vous ? "
" Rien ! " répond la demoiselle.
" Comment ça rien ! "

Et ils se remettent à l'ouvrage.

Nos deux chercheurs se donnent pourtant à fond, pour un faible résultat jouissif.

 

Réflexions croisées

Sophie :
"Serre-moi bien. J'ai besoin de te sentir tout contre moi."

W.S.R :
" Tu veux donc m'étouffer, ma chérie. "

 

Un quart d'heure plus tard, Bertrand est en nage, il questionne à nouveau (avec un peu d'inquiétude) :
" Alors Sophie, heureuse ? "
" Pas malheureuze mais franchement je ne zens pas grand chose, juzte un léger picotement, za chatouille plutôt en fait ! " COR 3
" Ca chatouille ? "

Bertrand est furieux, il remet son caleçon et redescend à sa voiture chercher l'aphrodisiaque super-puissant que les jumelles de Saint-Féllix lui avait malicieusement offert, il retrouve par miracle la peite fiole et revient au trot démonté.
Cunuchon dormait bien, seules les fenêtres du petit laboratoire restaient éclairées.
" Et maintenant que vais-je faire ? " s'interroge Bertrand, il décide d'avaler quelques gouttes du " miraculeux " liquide.
C'est fade, sirupeux avec un arrière-goût d'amande amère, pouah !
De retour sur les lieux de l'expérimentation, le garçon se sent en pleine forme.
Et ça se voit.

Face au tableau blanc, la scientifique à tête chercheuse refait ses calculs, perplexe.
" Il y a quelque chose qui cloche là dedans ! "
Elle préfère laisser la lumière allumée, sortant un cahier d'écolier et un stylo pour prendre quelques notes sur le vif.
" Ben voyons ! " se dit le lapin chaud en souriant, puis ils recommencent l'activité copulatoire.
Bertrand est survolté, il s'actionne comme un piston au mouvement rectiligne et alternatif.
Pendant ce temps, Sophie (notre cylindre) prend effectivement des notes, elle a remis ses lunettes :
" Vraiment je ne comprends pas, zi mes calculs sont exacts, les frottements devraient être à leur maximum ... et même za devrait fumer un peu ! "

Sophie est prête à reprendre le travail, elle a vérifié certaines équations et on la sent pleine d'enthousiasme.
Cette fille est la positivité même.


" Il faudrait remettre de l'huile ! " ironise Bertrand "
Inutile, il y a un zyztème de lubrification automatique ! " répond Sophie qui décidément à réponse à tout.
" La nature est bien faite ..." soupire le garçon en la détaillant, puis il avale le reste du fiacon magique, sans vraiment réfléchir.
" Remarquez à part ça, ce n'est pas désagréable non plus, Sophie le regarde droit dans les yeux, mais je ne comprends pas pourquoi vous vous mettez dans un état pareil !
Regardez, vous êtes en nage, dit-elle en lui passant la main sur le front, et on dirait que vous avez la fièvre ... " elle lui tend une serviette.
" Mais Sophie c'est normal ! "
La scientifique le regarde, vaguement inquiète quand même :
" Bon, alors reprenons, elle s'installe voluptueusement, ça ne vous dérange pas si j'allume mon ordinateur ? "
No comment, il la retourne, le portable clignote puis s'allume avec sa douce musique.
Sophie vérifie les différents paramêtres, ultime check-up avant le décolage.
Enfin espérons, et croisons les doigts ...

Selon un protocole laborieusement établi, c'est Bertrand qui dirige l'expérience cruciale.
" Taux de pénétration ? "
" Conztant ! "
" Ah bon, vérifiez ! "
" En légère augmentazion ! "
" O.K ! Coefficient de remplissage ? "
" Maximum ! "
" Cholestérol ? "
" Que du bon ! "
" Pression* atmosphérique ? "
" 12 millibabar - Condizion antizyclonique - A zurveiller ! "

* pression : Dont on pourrait supposer qu'elle aura peu d'influence sur cette opération (mais rien ne doit être laissé au hasard, qui s'en saisit aussitôt.

Prêt ?
Nos deux expérimentateurs échangent les signaux convenus :
" Raidi ! " confirme Bertrand.
Alors à dada et en avant, un pour toutes, toutes pour un !

Cent fois recommencer l'outrage ...
Jusqu'à s'en faire flamber la banane.
Attention, une manoeuvre par les flancs !
C'est la décharge de la brigade légère !
Toujours aucune réaction ?
Ce n'était qu'une diversion, ils poursuivent le mouvement alternatif.
Bertrand a perdu la notion du temps, il se croit à cheval dans les plaines du Far-West, avec Fuck John et Tex Superstone...


La terre commence à bouger sous lui, c'est un bon signe de tremblement.
Il se met à avoir des crampes dans le bas du dos, il souffle, il souffre mais il s'accroche ...
on entend un léger clapotis : tchic-tchic-tchtic-tchic-tchic ...

" J'y zuis prezque Bertrand, continuez z'il vous plait ! " lui dit doucement Sophie dont la voix a changé.

Sentant venir sa fin toute proche, Bertrand, dans un dernier éclair de lucidité, repousse* doucement sa partenaire et se précipite vers la fenêtre.

Le foudroiement cunuchonais.

Le temps d'y arriver, de l'ouvrir, de vite poser son sexe sur le rebord et une faramineuse érection traverse de part en part la place de la Libération (où nous nous trouvons).
Au passage le formidable jet balaie l'arrêt de bus*, quelques poubelles roulantes cunuchonnaises plus un affreux lampadaire orangé, non sans déclancher plusieurs alarmes.

* repousse : Nul doute qu'elle aurait été projetée assez loin, peut-être serait-elle passée par la fenêtre pour se retrouver ... au bowling, qui sait ?
Principe de précaution oblige !

* bus : Arrêt que les amoureux avaient heureusement abandonné.

" Ah ça c'est vraiment intéressant ! " conclut Sophie accourue.
Puis Bertrand fit un petit malaise.

 

Il se réveilla complètement mollusque, couché, bordé et bien au chaud.
Juste à côté, Sophie (qui avait mis une blouse entre-temps) tapait sur l'ordinateur ses dernières observations, en buvant un thé ; elle se tourna vers lui et, par dessus ses lunettes, annonça triomphante :
" Mon chéri piston, je crois que nous avons réussi à résoudre ce satané problème des frottements exessifs ! "
Elle ne zozotait plus.
" Tant mieux ! " murmura Bertrand avant de replonger.
Encore un miracle de l'amour !

La syncope puis le doux réveil.

Cette fois s'en était vraiment fini des malheurs de Sophie.
Au matin les employés communaux (nos braves cantonniers) constatent les dégâts en laissant tourner les moteurs. Evidemment ils s'interrogent :
" C'est peut-être la queue de Cynthia* ? "

* Cynthia : Une fameuse tornade celle-là ! "

 

" Ou un divin châtiment ? " suppute un vieux technicien de surface appuyé sur son grand balais.
" Mais en attendant c'est nous qu'on paye la taxe de bitation ! " reprend le choeur déjà brisé des cons tribuables.
" Je comprends vraiment pas pourquoi ça colle comme ça ! " se demande le chef des travaux finis en tirant sur ses bottes.

 

A Cunuchon, bonjour les dégâts !
Le patrimoine en a pris un bon coup.

" Allons chercher la grande suceuse ! " ordonne le premier adjoint aux services techniques.

" Et faut toujours que ça tombe un samedi ! " râle l'équipe au grand complet.
Pause.
Douillettement installé, Bertrand se masse ; il n'a aucun sentiment de culpabilité.
" Mon petit amour mécanique, encore une tasse de thé ... ? "

 

Aperçus

A Cunuchon, que du mauvais chon
En caoutchouc brûlé
Mais point de synthèse .

 

 

 

 
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