ANNE
Le 2O avril à Rassoues

Intimité basquette.

" Chic, les affaires reprennent ! " se disait Bertrand en se frottant les mains en signe de satisfaction et aussi pour se les réchauffer car il ne faisait pas chaud ce matin, ou comme on dit en occitan :
" Oçà caillou ! "

Il avait le corps couvert de petite cloques, souvenirs des maléfiques piqures à répétition de la terrible Nisabelle.
Après cette éprouvante nuit il venait de vendre, sans aucune conviction, un kit anti-sinistres complet à un hôtelier lyonnais de Rassoues qui se désolait devant les ruines fûmantes de son établissement totalement dévasté par l'incendie pour la quatrième fois de l'année.
Bertrand laissa entendre au patron dépité que s'il persistait à ne pas vouloir payer " la contribution volontaire à la juste cause " ses ennuis n'étaient pas près de s'arrêter et que son établissement allait continuer de spontanément s'enflammer comme une paillote de plage corse.


" Mais c'est du racket ! " s'indigna le rhône-alpin.
" Appelez ça comme vous voulez ! " répondit Bertrand en mettant son chèque dans la poche.
Une jeune fille avait écouté leur conversation, elle en était complètement indignée.


" Ce qui lui allait très bien ! " remarqua de suite Lapin.Blanc.Rapide qui n'avait pas ses gros yeux rouges dans sa poche, avec le chèque.
Anne était idéaliste, exaltée et à vrai dire, un peu givrée mais ça notre héros s'en apercevrait plus tard.
Elle indiqua au garçon un rendez-vous bizarre, en pleine montagne, pour y rencontrer un mystérieux acheteur d'extincteurs en gros.
La jeune fille se proposait de lui servir de guide, dans ce cas là évidemment, il acceptait.

Réflexions croisées

W.S.R :
" Ote moi ça "

Anne :
" Pour se faire arrêter pour actes obscènes ? "


En route donc pour les riantes vallées bien arrosées.
" C'est si joli tout ces balcons fleuris ... " commentait le garçon pour détendre l'atmosphère.

Cascades jaillissantes, frais vallons, chaos rocheux ou sombres pinèdes, tout y était comme dans une carte postale en couleurs.

" J"aime tes genoux ... " chantonnait le garçon, et c'était vrai.


" Vraoum vroum ! " à l'arrière les extincteurs s'entrechoquaient.

Ils longérent d'affreux précipices, passérent sur des ponts branlants qui s'effondrérent juste après avant de s'enliser jusqu'aux portières dans d'immenses ornières.
Ayant depuis longtemps remis son âme à qui la voudrait, Bertrand ne regardait même plus la piste, il scrutait juste le nez fin, le spirituel menton et les cheveux blonds de son guide, Nathalie ... non, Anne.
Serait-ce le salaire de sa peur ?
Il n'osait l'espérer, mais il pouvait le concevoir (en attendant de voir ce con).
" Anne, ma soeur Anne, ne vois tu rien venir ? " se demandait Lapin.Blanc.(autrefois) Rapide , mais il n'osait pas le demander.
Car la jeune fille avait l'air si sérieuse et si concentrée ...
C'était en fait très loin où ils allaient, perdu tout au bout du bout du chemin ; dans le break citadin les occupants étaient secoués comme deux pruniers nippons.

On traversa même un (petit) torrent à gué.

" C'est le Gamel Trophy votre rendez-vous ! " lança Bertrand de l'eau jusqu'au menton.
On écopa avant de repartir de plus en plus boueux.

Enfin Anne fait signe de s'arrêter dans une clairière encore embrumée, puis de klaxonner trois fois :
Tut - tut - tut
Une demi-douzaine d'hommes cagoulés de noir sortent de derrière les rochers.
" Curieux endroit pour un rendez-vous d'affaires, et curieux clients " songeait Bertrand.
" Ils doivent être frileux par ici ... et avoir peur des sangliers, ou de l'ours, ou de l'homme qui a vu l'ours, ils ont tous des fusils ... à répétition "

 

Quelques étranges quadrupèdes broutaient à l'écart, petits chevaux ou très grands ânes ?
Un peu les deux car ils s'agissait de braves et placides mulets, on fait signe à Bertrand de monter sur l'un deux.
Bien entendu il refuse, il préfère mourir tout de suite plutôt que de grimper sur une de ces bestioles.
Chevaucher Anne d'accord, mais pas de faux bourricot entre nous !

Comme Bertrand se retourne pour demander des explications, il voit la jeune fille, cagoulée de noir* elle aussi, s'approcher furibonde et pointer sur lui un doigt accusateur en criant :
" Tu es démasqué, Hubert-Bonnisseur de la Chatte*, tu travailles sans doute pour S.A.N.D.E.Q.U.E afin de nous espionner et tenter de nous manipuler à des fins ... à des fins ... "
" ... des fins de loup ! " complèta un des complices anonymes.
" Mais pas à des fins de moi ! " se défendit maladroitement le garçon paniqué.
" ... à des fins de non recevoir ! " renchérit sa terrible dénonciatrice.
Quoique imprécise, l'accusation était grave.

* noir : On pourrait essayer rose pour les filles, et pour changer.

* de la Chatte : Voir Pierrette le 15 avril à Montsédur, depuis son mensonge le poursuit obstinément partout, ici il l'a même précédé !

" A ce propos, on dit - le - ou - la - S.A.N.D.E.Q.U.E ? " demanda un des comploteurs camouflés.
" Peu importe ... " rugit la passionara " c'est une taupe provocatrice et il est accusé de réception, donc exécution ! "

Bertrand crut bon de plaider sa cause séance tenante :
" Premièrement, il n'était pas une taupe mais un Lapin.Blanc.Rapide, il pouvait rassembler de nombreux témoignages féminins le confirmant dans cette fonction.
- deuxièmement, il n'avait malheureusement pas encore manipulé Anne mais il accepterait volontiers d'être manipulé par elle, et de lui servir bénévolement de " couverture " comme on dit dans le jargon secret ; en toute clandestinité bien sûr !
- troisièmement, que les seuls attentats qu'il prévoyait jamais d'organiser seraient des attentats à la pudeur.
- quatrièmement, qu'il voulait bien faire des efforts pour s'intéresser à tout ce qu'on voudrait mais qu'il ne serait jamais un fanatique de rien.
Enfin, et pour prouver sa bonne volonté, il invitait la jeune fille à une apaisante partie de pelote.
Mais derrière le fronton (et sans chichistera).
On fut convaincu de ses explications, on enleva les cagoules pour manger un morceau de fromage de brebis au milieu des moutons tondus.
Aucun agneau, le garçon préféra ne pas poser de questions.

Des gypaètes barbus (et chevelus) tournaient au dessus d'eux en lâchant parfois de gros os.

Bertrand avait fait sienne depuis longtemps la devise hippie :
" Faîtes l'amour et pas la pas drôle de guerre* ! "

* guerre : Les femmes non plus n'aiment pas beaucoup la guerre, la vraie avec tout le tintouin ; et pour cause, elles en sont les premières victimes surtout de nos jours où, par goût du moindre effort (ou simple radinerie) on préfère taper sur les civils.

Elles ont donc décidé de prendre la chose en main (c'est une façon de parler) et chaque fois qu'un conflit nouveau se déclenche, elles arrivent en masse, encerclent les positions belligérantes et se dénudent.
Il faut du courage et de l'endurance résistance car certains matins (comme ici au Balouristan) il ne fait pas chaud.
Ce moyen si simple semble efficace car les soldats d'abord ravis, semblent ensuite désemparés et finissent par s'en aller en abandonnant tout leur bordel meurtrier.
Bravo mesdames !

" Qu'est-ce qu'il ne faut pas faire ! "

Il était content (et pas peu fier !) de l'avoir fait triompher ici basque.
Mais il restait en colère après Anne qui l'avait trompé.

Finalement ils se réconcilièrent sur l'oreiller brodé, achetèrent des costumes folkloriques et organisèrent une mini-cérémonie païenne au cours de laquelle ils purent s'unirent suivant d'anciens rites ancestraux.
Bertrand Biquet trouvait son chapeau rigolo et il embrassa Anne Soulegui.
Sous le gui.

Puis ils rentrèrent se mettre au chaud sur l'oreiller brodé, entre les guirlandes d'ail et la cheminée, ils jouissaient d'une délicieuse intimité quand des rafales d'armes automatiques déchirèrent le silence glacé.

Les montagnes proches renvoyant à l'infini l'écho des détonations.
" Mais c'est toujours la guerre ici ! " râlait Bertrand en enfilant son pantalon.
A cause du froid, il enfila aussi une cagoule avant de sortir sur le balcon, il salua alors des deux bras levés ses nouveaux copains qui venaient vider dans le ciel quelques chargeurs en signe de bonne entente cordiale.
Dans la vallée, l'hôtel du lyonnais brûlait encore.
La pétarade était finie, faute de munitions et le combat foutu, faute de combattants.
Bertrand aurait bien voulu remercier pour cette hospitalité qui sentait la poudre mais avec ces foutues cagoules, impossible de savoir qui était qui.
Il décida d'enlever la sienne car il n'avait rien à cacher (disons plutôt qu'une cagoule n'y suffirait pas), son exemple ne fut pas suivi, ici on préférait rester couvert.

La cagoule présente au moins un avantage (?) égalitaire :
tout le monde il est vilain, tout le monde il est méchant.

On entonna quelques chants étranges avant de bruyamment se séparer.
Anne grelottait à ses côtés, ils rentrèrent vite se coucher car il faisait frisquet et ils voulaient aussi tirer un coup.
Et pourquoi pas une rafale ?
Mais il mettrait un silencieux, lui.
Pendant toute la durée de la scène, les téléobjectifs du S.A.N.D.E.Q.U.E n'avaient pas cessé de fonctionner.
Bertrand s'était mis dans une sale histoire ... mais il avait acheté un souvenir, pour une fois..
Un gigantesque béret du genre pizza avant cuisson, mais sans garnitures car il était l'Anchois* maintenant.

* Anchois : C'était son nom d'artiste, un vrai choix ; depuis sa rencontre esthétique et policée avec Justine, bertrand essayait lui aussi de dessiner.
Les illustrations de cette histoire sont de sa petite main.
Faut-il l'encourager à persévérer (sachant ce qu'on sait) ?
Allez, juste un petit dernier.

Pour la route enchantée, jusqu'à Miaritz.

 

Aperçus

 

A Rassoues, on met de jolis dessus.
Dessous, après on s'inverse
Et on se démonte

 

 

 
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