|
ISABELLE
Le 19 avril à
Lecdoure
Enigme :
Si la femme était une animale ?
TUUUUUUUUUUT
Quand Bertrand releva
enfin le front, l'infernal klaxon s'arrêta net.
Il avait une curieuse sensation, celle d'être la tête en bas.
Et ce n'était pas qu'une impression, ce matin le monde était vraiment
à l'envers.
Mais ce n'était pas le monde qui était sens dessus-dessous (encoe que
!), c'était Lapin.Blanc.Rapide et son auto qui avait basculé dans le fossé.
Le garçon se rappelait juste être arrivé au ralenti sur cette aire de
repos, il avait du se reposer trop vite ...
Sa courte paternité* l'avait épuisé, même s'il en souriait encore.
* paternité
: La mère et l'enfant vont bien, pour ceux qui s'inquiéteraient.
Autour de lui,
la nature était déjà bien réveillée et chacun vaguait à ses occupations,
sans s'occuper du voisin.
Ou avec d'assez claires motivations, miam, miam principalement ; et parfois
tchic tchic.
Ca a le mérite d'être clair, c'est pour cela qu'il aimait être au milieu
des animaux.
" Surtout les femelles ! "
C'est pas malin
comme réflexion, c'est un moment sérieux, un tournant de l'histoire pourrait-on
dire... même si la route est toute droite.
Lapin parmi
les lapins, le garçon court dans l'herbe.
Bertrand se sentait
dans un état d'insouciance totale, il n'avait rien de spécial à faire,
une condition indispensable pour faire quelque chose d'intéressant, ou
rien ... sa voiture était très bien dans le fossé où elle ne gênerait
personne.
Ayant récupéré quelques affaires, il se mit en route abandonnant sans
se retourner ses échantillons à leur triste sort.
Son séjour la tête en bas l'avait un peu courbaturé et bouger lui faisait
du bien.
" Mmmh, quel bon air ! " ... le soleil commençait à lui chauffer agréablement
le dos.
" Alerte,
un salaud de nuisible à l'horizon ! "
Le lapin se cacha
vite dans le fossé, heureusement qu'il était aussi rapide !
Du coup il était inquiet :
|
" Dépéchons-nous car
ce vilain museau pointu risque d'avoir dévoré toutes les jolies
poulettes ! "
Ouf, la
dernière (but not least) n'était qu'à moitié mangée et il restait
ses morceaux* préférés.
* morceaux
: Le lapin serait donc carnivore ?
Non car lui il ne mange pas vraiment, il suçote, il lèche, il mordille
doucement (sans serrer) de ses incisives aiguisées, en un mot, il
goutte (pardon, il goûte).
Rien à voir avec l'autre glouton !
" Nous sommes dans la même niche écologique, c'est là le problème.
"
Mais l'autre est rusé; c'est un vrai avantage.
Au carrefour suivant,
un panneau indiquait : Lecdoure 6 Km.
" Quel chance d'habiter un petit pays, on n'est jamais loin de rien
! "
Il avait toujours sa carte bleue, il était vivant et en bonne santé,
au moins physique ... il toucha vite l'arbre suivant avant de faire
quelques cabrioles de jambes ... et de finir par la fameuse roue
:
" Léon, léon, léon ! "
|
De petites boules
d'énergie filaient en tout sens, des mésanges nonnettes !
Sittelles
gloutonnes ou bergeronnettes gracieuses
(mais plus de bergères honnètes depuis Marie-Antoinette).
Comme tous ces oiseaux chantaient, il se mit à chanter aussi :
" J'étais seul sur les routes Sans dire ni oui, ni non Mon âme s'est dissoute
Poussière était son nom ... "
Y'a de la joie chez lui, c'est très net.
Il aurait pu continuer
de marcher ainsi, tout droit, sans jamais s'arrêter ; à cet instant précis
cela iui semblait l'évidence du bonheur.
Marcher, marcher encore ... pour enfin super-marcher (non !).
Tiens, il ne semblait pas être le seul à avoir cette idée folle ?
Sur un sentier
parallèle au sien s'étirait une colonne de fourmis* processionnaires,
moins disciplinés cependant que des hyménoptéres normales, remarquait-on
sans peine.
Normal car il ne s'agissait pas d'insectes mais d'êtres humains.
Visiblement en route vers quelque chose à l'horizon ballonné (pardon,
vallonné).
Certains y allaient en courant presque, d'autres s'échelonnaient aux différents
stades de l'épuisement, carrément sur les genoux (leurs fameuses rotules)
pour les derniers.
Les plus étranges semblaient vouloir faire du ski de fond, sans neige.
|
Un petit groupe piétinait
à l'écart.
" Une échappée ? " songea Bertrand qui adorait s'endormir devant
le Tour de France.
Pas vraiment, leur curieux mode de locomotion faisait qu'ils avançaient
bien plus lentement que les autres en se donnant à chaque enjambée
un grand coup de pied au derrière.
En toute fraternité.
Ce pas dit " de l'oie
" demande une parfaite syncronisation, sinon c'est vite la pagaille.
|
* fourmis :
Semblables en cela aux laborieuses fourmis, on ne verra jamais aucun pélerin
aller dans l'autre sens.
" Même s'il a oublié sa pélerine en route ? "
Même.
Toute à sa bienheureuse
solitude Bretrand voulait éviter à tout prix de croiser la route, ou plutôt
le chemin, des pélerins de Saint-Jacques-le-Composteur* car il ne faut
pas tout mélanger :
Dieu, les extincteurs ... et le sexe. .
* Sant-Jacques-le,
Composteur : Il se tient à l'entrée du paradis et contrôle les billets.
Quand il n'y a
pas de nouveaux arrivants, il s'occupe du céleste compost.
A Lecdoure on
ne mélangeait pas, et on ne se mélangeait pas beaucoup non plus.
Ce que regrettait Lapin.Blanc.Rapide, tout en se faisant une petite ballade
dans la ville, au cas où.
Devant un restaurant chic, une petite foule prenait le frais, un verre
à la main.
L'air de rien qui lui va si bien, le garçon se mèla à l'attroupement.
Direction le buffet froid où il comprit rapidement qu'il était au milieu
des invités et intervenants d'un séminaire médical.
Bertrand n'avait qu'une spécialité, la matrice et ses diverses dépendances,
il se fit donc passer pour un certain Professeur Oryctolagus, célèbre
gynécologue australien (c'est pour cela qu'ici personne ne le connaît).
" En Australie les conditions
de travail sont rudes pour les médecins ... dans le bush ! " expliquait
le nouveau doc-gynéco aux lecdouroises présentes et captivées.
" On dit - la - bouche ! " lui précisa timidement une admiratrice
pas complètement finie.
Bertrand continua :
" Parfois on ne mange que des ornithirynques pendant des mois ! "
" Moi qui déteste le poisson ... " ajouta la même.
Le garçon partit se chercher une coupe, il l'avait bien gagné ! |
|
Il profitait
à plein de son auréole de savoir et du pouvoir qui va avec, proposant
des rendez-vous à toutes les patientes potentielles qui l'entouraient.
|
Bertrand adorait
ces consultations improvisées :
" Alors c'est entendu, matin, midi et soir, ce serait bien de commencer
rapidement, disons demain matin ? "
" D'accord mais pour midi ce sera difficile professeur; je travaille
... "
" On s'arrange toujours ... ne remplissez pas le chèque s.v.p ! "
|
Une qui avait
l'air plus souffrante que les autres lui demanda s'il ne pouvait pas l'examiner
de suite car elle sentait dans son intimité comme un perpétuel chatouillis
qui la rendait folle.
" Professeur Cryptovagus, emmenez-moi au pays où rêvent les fourmis vertes
(?), ici je vais devenir dingue ... "
Bertrand se demanda si ce n'était pas déjà fait, ou peut-être était-elle
seulement un peu paf ?
Car Isabelle avait un curieux comportement, elle surgissait d'un coup,
intervenant dans les conversations comme si elle savait toujours précisemment
ce que les gens allaient dire ou faire.
Dés qu'il se retournait, elle était derrière Bertrand, impatiente, le
fixant de ses grands yeux écarquillès :
La con-sultation-minute,
où et quand Bertrand joue au docteur.
|
|
" Professeur
Grypolanus, c'est pour quand ma consultation, pour aujourd'hui ou
pour demain ? "
" Pour tout de suite, chère Isabelle ! " et il emprunta des gants
blancs au serveur du buffet froid.
Et une blouse blanche à une patère désaffectée.
Il ne lui manquait qu'une lampe de poche.
Réflexions
croisées
Isabelle
:
" Ca ne devait surtout pas m'arriver, ceci. "
W.S.R :
" Je serais bien resté plus longtemps avec vous, mais j'ai du travail
... "
|
Ainsi équipé,
le faux médecin malgré lui entraîna Isabelle dans la cabane du jardinier
pour y subir un examen.
" Une première question Isabelle : ça vous chatouille ou ça vous gratouille ?
C'est important ! "
|
En découvrant
le lieu de la consultation, Isabelle reste sceptique :
" Vous croyez vraiment qu'on pourra rentrer là dedans ? "
L'amour-médecin lui ne doute de rien :
" De l'extérieur ça à l'air petit..." |
Une décence minimum
nous fait refermer la porte du cabanon.
Quelques minutes* plus tard Bertrand se relevait péniblement car l'endroit
était exigu, il s'y cogna très fort la tête.
* minutes :
Rappelons-nous qu'il s'agit du Lapin.Blanc.RAPIDE.
" Alors Professeur,
je n'ai rien de ... spécial ? "
" Tout va très bien Isabelle, vous êtes parfaitement normale ... répondit
le spécialiste sûr de lui en enlevant ses gants ... à peu près hystérique,
comme beaucoup ! " ajouta pour lui-même le praticien d'opérette en massant
son cuir chevelu endolori.
C'est à ce moment que la soirée bascula pour de bon dans l'épouvante.
L'atmosphére
confiné du cabanon, l'excitation de l'examen, le surmenage ménager
ou le champagne pas assez frais, personne ne saura vraiment pourquoi
la maigre jeune femme changea soudain totalement d'attitude.
Fermée et hostile, elle recula lentement vers le fond de l'édicule,
puis se retourna sans dire un mot, fixant silencieusement la cloison
de planches.
Absente, ou ailleurs avec quelque parasite de sa conscience, certainement
en bien mauvaise compagnie.
Au bout de quelques longues et ténébreuses minutes, la tête seule
de la femme se retourna en grinçant de manière saccadée, ses lèvres
remuèrent et d'une voix excédée, criarde et suraigüe, l'autre Isabelle
la terrible Nisabelle (son satanée* double) annonça en articulant
de toute la force de ses machoires archi-contractées :
" ... Professeur Cryogénitus ... tu n'es qu'un misérable, incapable
d'aimer qui que ce soit d'autre que toi-même ...
Professeur Gronombrilus, sois maudit pour (et par) toutes celles
éparses que ton manque d'intérêt à fait souffrir ...
Professeur Ausralonimbus en plus, tu te plains, moi... tu me fais
rire si fort que j'en ai mal aux seins ... Hi,hi, hi, hi - pouet-pouet
! "
|
La
possession
|
La pauvre fille
partit d'un rire dément en lui balançant sur la tête tout ce qu'elle trouvait
à portée de griffes.
Bertrand crut qu'il allait expulser de la matière verte (les petits feuilletés
aux épinards ?).
Terrorisé pour de bon, il prit la fuite à travers Lecdoure encore endormie
qui ne se doutait toujours de rien, sans envisager le pire.
La terreur
|
Il reprenait
son souffle (et ses esprits) appuyé contre une antique fontaine
à bulles.
" La femme est une sorcière ! " lui souffla un pélerin retardataire
exténué aux grosses ampoules allumées qui le guidaient dans sa marche
au salut.
Il remplissait
sa gourde, en veillant à ne pas prendre trop de bulles Bertrand
aurait pu le suivre, il préféra rentrer se reposer la tête sinon
il allait encore finir dans le fossé.
* satanée
: La jeune femme serait donc affectée-infectée d'un trouble de la
personnalité assez commun :
le dédoublement.
Ou comment, et dans quelles conditions, gentille Isabelle devient
Nizabelle Zébutte ?
|
|
Continuation
magique
Les sorcières
contre-attaquent.
Dans la cabane
du jardinier, à la lueur tremblotante d'une bougie, Nizabelle Zébutte
se livre à d'étranges rituels.
Avec divers morceaux de bois elle a construit un pantin d'une dizaine
de centimètres à l'effigie de Bertrand*, elle fixe sa marionnette avec
intensité :
" Professeur Diplodocus, non ... c'est comment son nom déjà ? Professeur
Tyranosaurus ... prend ça ! " et elle enfonce dans l'innocente marionnette
une épingle toute neuve.
Nisabelle,
le double maléfique.
Lapin.blanc.rapide ne sent rien, son usurpation d'identité était donc
judicieuse :
" Tant qu'elle me prendra pour un gynécologue australien en guoguette,
tout ira bien ! "
Il décide cependant de se défendre, mais à sa pacifique et amoureuse manière.
Et comme la meilleure défense reste l'attaque, il s'active magiquement
et fébrilement à son tour.
Avec de la ficelle et du papier, il fabrique un petit personnage aux évidents
attributs féminins.
Bertrand regarde son oeuvre, iil a poussé le souci du réalisme jusqu'à
doter le pantin de jambes articulées, et d'une foufoune minuscule mais
plus vraie que sa nature).
|
Les envoûtés : Nizabelle
Zébutte et le faux professeur Oryctolagus.
Il la baptise aussitôt
Nizabelle avant de se livrer sur sa créature à diverses activités
peu recommandables.
Il écarte d'abord doucement les deux baguettes qui font office de
gambettes ... Stop !
Le garçon a oublié quelque chose de très important, de primordial
même !
Il confectionne vite en pâte à papier un sexe masculin à l'échelle
de sa marionnette.
Ceci fait, il écrit Biquet sur le phallus réduit avec mille difficultés
et à la loupe, vue la taille du support.
" Pas mal ! " commente Bertrand en regardant son sexe de fantaisie.
Cette fois tout est prêt pour l'opération magique.
|
Il reprend l'effigie
et masse d'abord lentement du bout de son majeur ses petits seins de plastique*avant
d'introduire avec précautions, entre les cannes déjà ouvertes, le sexe
factice qu'il tient délicatement entre le pouce et l'index.
* plastique
: Nizabelle n'est pas de bois, rappelons-le.
|
L'effet est immédiat.
Dans la cabane du jardinier, Nisabelle se redresse soudain et se
met à pousser des " Ah " de surprise, des " Oh " d'admiration, des
" Hi " de juissance, et des " Hue " de circonstance.
Elle est piquée, indiscutablement, le garçon continue sa douce manipulation.
La possédée grimpe aux
murs de la cabane en soupirant d'aise, Bertrand accélère légèrement
la cadence.
Il tient la jeune femme
en son pouvoir occulte, heureusement qu'il n'est pas cruel* aujourd'hui
!
|
Sur
le grill cosmique, la malade imaginaire se tord de jouissance.
|
* cruel : Imaginez
ce que deviendrait ce " pouvoir " entre des doigts mal intentionnés ?
J'imagine très bien.
" C'est tout le
mal que je lui souhaite ! " conclut Bertrand toujours affairé.
Possédée, Nizabelle se retrouve sur le toit de l'édicule où elle saute
sur place et s'agite spasmodiquement, cela devient dangereux.
Bertrand repose alors son petit matériel et va se coucher.
Il est à peine allongé qu'il ressent les premières piqures de rappel à
l'ordre.
Il a été percé à jour, à son tour de souffrir ...
Bertrand
se grattait, encore plus pénible qu'une démangeaison genre eczéma, là,
c'était comme s'il pelait de partout.
Cette nuit
Nizabelle avait le mauvais oeil autant que l'oeil mauvais, ses ondes
puissantes se propagent en autant d'effluves maléfiques :
" Comment ça ba Vertrand ? "
" Sabbat fort ! "
" Saleté ! Tu veux
donc me nouer l'aiguillette ? " grogna t'il en se attrapant la figurine
posée sur la table de chevet.
Dans le cabanon d'incroyables râles se firent bientôt entendre ...
à l'intérieur des archiséculaires maisons lecdouroises, les lumières
se rallument une à une, les fenêtres s'ouvrent, on s'interroge entre
voisins sous alarmés :
" Tiens, ils ont changé la sirène des pompiers ... elle était mieux
avant, ça durait moins longtemps ! "
" Il y a quelqu'un de malade chez vous ? "
" Et si c'était la bébête du Gégé Vodant (?) ? "
" Celle qui monte, qui monte, qui monte ? " L
'âpre modulation se poursuit, gagne même en puissance, et surtout
en intensité vibratoire.
On décide de prévenir les gendarmes*, un râle ultime secoue les
doubles vitrages puis tout se calme à nouveau.
* gendarmes
: Qui n'arrivèrent que très tard, nous les soupçonnons d'avoir eu
les jetons.
|
|
Pendant tout ce
temps les chiens étaient rester en tremblant au fond de leur niche
Dés que Bertrand, qui commence à avoir des crampes, s'arrête, Nisabelle
prend immédiatement le relais, aucun répit, aucune trève c'est la guerre
à outrance.
Mais pourquoi tant de haine ?
" C'est justement le thème de notre méditation de ce soir ! " intervint
le pélerin ampoulé de la fontaine à bulles tandis qu'au dehors les hurlements
d'atroce jouissance continuaient.
" On pourrait peut-être fermer la fenêtre ? " demande t'il, toujours aussi
calme.
Et posé, les deux pieds dans une bassine, il expliquait à ses compagnons
d'étape pourquoi l'amour c'est bien et pourquoi la haine ce n'est pas
cool.
Il parle ainsi pour mieux toucher la jeunesse (comment ça !).
La dessus
tout le monde était pour, à la quasi*-unanimité.
* quasi
: Incroyable, il y en a qui ne sont pas d'accord ... mais que faut-il
donc faire (ou dire) une fois qu'on a défoncé une porte ouverte
?
La fermer peut-être ?
|
|
L'orateur
dérangé :
" Faîtes la taire, pour l'amour du ciel ! " |
A l'extérieur,
après une courte pause, les cris redoublaient à nouveau, on décida charitablement
de les ignorer.
En posant les matelas contre les ouvertures, on pouvait maintenant s'entendre.
Notre ami ne sut pas expliquer pourquoi l'amour se transformait bien souvent
en haine, au bout d'un certain temps.
Un problème irrésolu qui continuera donc de nous rendre fous.
Comme une épine dans le pied fourchu.
|
Aperçus
A Lecdoure,
juste un petit four.
Et puis s'en tont
Les provinciales marionnettes
|
|
|