JULIE
Le 8 avril à La Coque Gageac

 

VERSION DE SURFACE

Il avait fallu du temps à Bertrand pour trouver La Coque Gageac sur la carte mais il n'était pas déçu du voyage car le paysage était charmant.
Une succession de petits monts et de grands vaux toujours pas sevrés venaient à sa rencontre (pure illusion, lui seul était en mouvement).
Pour l'acceuillir sans doute ... il aperçut plein de lapins encore endormis qui se chauffaient les papattes sur le bitume, il ralentit de plus en plus ... et puis coupa le moteur.
Quel merveilleux silence !
" Space rabbit ..."
Le garçon côtoyait en sifflotant une rivière quand soudain son coeur s'arrêta, c'est une image, son coeur ne demandait qu'à battre encore et encore.
Il avait cru apercevoir une sirène dans l'eau miroitante, il se gara vite avant de perdre le contrôle de son petit véhicule.
L'onde était transparente et lui permettait de bien discerner ce qui s'ébattait en son sein, mais ce n'était pas un sein, mais deux qu'il voyait frémir à la surface, gros et ronds comme des flotteurs et derrière l'inséparablee duo, une longue queue de poisson verdâtre qui tapait à la surface avec un bruit mat.
" Je suis dingue ... c'est sans doute une bouée abandonnée ... pourtant je dois en avoir le corps (et le coeur) net ! "
Il lui fallait de suite se rendre en contrebas, à l'Evidence, un non-lieu d'où il pourrait accéder enfin à l'élément liquide.
Arrivé sur les galets du bord, il hésita car il ne savait nager qu'en eau trouble, ici il perdrait sûrement pied avant même d'être mouillé.

 

Réflexions croisées

W.S.R :
" J'ai hâte d'y goûter ! "

Julie :
" Ce ne sont que des rêves, enfin ! "

 


En désespoir de glose il choisit une autre solution et cria :
" Hou, hou, elle est bonne ? "
Ce n'était ni très original ni très courageux, à sa grande surprise la créature aquatique répondit avec une pointe d'accent :
" Eh bé, elle est un peu fraîche ce matin ! "

L'apparition ruisselante. (déplacer sirène bleue à la fin)


La sirène de rivière se nommait Julie et passait le plus clair de son temps dans l'eau (ce qui est normal).
Bertrand lui proposa une promenade en barque, une partie de canotage romantique.
Le garçon eût un peu de mal à hisser Julie sur la frêle embarcation vu l'encombrement de son écailleux appendice, sa queue à lui se rangeait plus facilement.
Plouf, plouf et vogue la galère !

Ils passèrent rapidement des rapides, passons, avant de se laisser mollement dériver au fil du courant entourés des faux calcaires du Périgord.
Les seins imposants de la jeune femme, glorieusement surmontés de leurs tétons verts* gonflaient et dégonflaient au rythme régulier de sa respiration :
" Au moins, en cas de naufrage, je serais à quoi me raccrocher ! " se dit le jeune homme rassuré.

* verts : C'est comme ça chez les sirènes de rivières.

Ils étaient bien serrés au fond de leur étroit esquif, Bertrand risqua une main sous la couverture, il fût tout surpris :
" Oh, elle n'a pas beaucoup d'écailles ! "
" Et bé, la tienne non plus ! " remarqua la gasconne amphibienne.
" Attention des pêcheurs ... " s'exclama Bertrand en désignant la verge (pardon, la berge)
... " Cache-toi sous la couverture ! " dit-il à sa sirène.

Elle obéit prestement, chaque printemps un certain nombre de ses consoeurs étaient bien eues par des braconniers indélicats :
" Super, une toute jeune ! "
Totalement inconscientes, elles filent sous l'étrave des bateaux-lavoirs déjà ivres en remontant le courant.

 

Elles s'arrêtent pour se reposer dans les marais salants, elles y chantent d'une voix rauque de vieilles romances en faisant moult bulles bleues (qui servent à les repérer).

 

On peut alors les attraper à la fine mouche mais il faut du doigté, et beaucoup de patience.
Scènes de pêche en Bavière (Documents gracieusement prêtés par - Le pêcheur français -)
On peut mal y voir un adepte de la " dandinette " au visage flouté charmer une sirène, chacun son tour, et l'attirer doucement vers le bord. Il ne reste plus qu'à la maîtriser sans trop escaguasser.
Dans ces eaux encore froides, les petites ondines se défendent mal.
Là ce n'était vraiment pas le cas mais le lapin farceur fit quand même semblant de discuter le coup avec un de ces fantômatiques rois de la gaule.

" La pêche est bonne ? " cria t'il.
" Rien du tout, pas un museau de tanche, et vous, ça mord ? "
" Heureusement non, juste quelques petites touches ..."


Quel aval, c'était vraiment la rivière sans retour ...

.

 

 

VERSION EN EAU PROFONDE

  Parfois les sirènes désorientées s'échouent, c'est chou et cela attire les curieux et quelques pêcheurs à pied d'oeuvre.
Contrairement à ce qu'on affirme depuis l'antiquité, si elle chante, tout le monde se sauve abandonnant sa bourriche à moitié-pleine.

 

L'inconsciente dérive les emmena bien loin car il avait pris des rapides*.

* rapides : Rappelons que le lent (le célèbre " slow " ) reste la danse préférée de Bertrand.

C'était facile comme sur un toboggan, il fallait juste rester bien au milieu mou sans toucher les bords durs.
Il était donc un petit navire qui avait un peu navigué avant de sombrer, corps et âmes de bois, à la première vaguelette dans un naufrage peu titanesque.
" Les femmes et les enfants d'abord ! " s'écrient les requins-marteaux tout joyeux.
Cette histoire prend l'eau de partout, écopons, écopons, avant de reprendre l'évocation.
Bertrand et Julie ne vont plus sur un bateau mais ils se sont bien pincés avant de tomber à l'eau.
La siréne et le garçon évoluent maintenant sous la surface, première surprise sous-marine pour notre nouvel homme de l'Atlantide, il y respire sans difficultés.

Un court apprentissage entre deux eaux est pourtant nécessaire, Bertrand écoute bien les conseils*de sa maîtresse-nageuse.

* conseils : Ils peuvent aussi se parler, il faut bien prêter les ouies, les nombreuses bulles déformant leurs aquatiques et amoureux propos :
" Jeblll t'aiblllme beaublllcoublllp ! "
" Pabllle pablllr lablll queublllle ! "

Voyant son appréhension se dissoudre dans l'eau salée, Julie prend le garçon par la main et l'entraîne à sa suite gazeuse dans les profondeurs abyssales.

 

Dans l'élément liquide, la meilleure façon de se déplacer est ondulatoire

 

Bertrand ressent les premières atteintes du " mâle des profondeurs ", pour un néophyte comme lui, la difficulté est de bien équilibrer la pression entre les deux testicules ; sinon l'un deux se met à gonfler comme une mongolfière et l'inexpérimenté plongeur remonte à la surface telle une fusée.
Pendu à ses couilles qui lui servent alors de flotteurs, il ne lui reste plus qu'à envoyer un signal de détresse.
Ce problème rêglé, vous pourrez batifoler à votre aise en goûtant aux charmes indescriptibles de l'apesanteur.
Quand aux charmes jumeaux de Julie, le garçon s'y accroche pour exécuter quelques figures imposées du ballet nautique.
Les figures libres de l'amour sous-marin sont pour l'instant impossibles.
Les sirènes n'ont pas de sexe, où Bertrand ne l'a pas encore trouvé, il a pourtant bien cherché...
Et il n'a pas de détendeur.
Qu'importe ces attouchements, déhanchements et frôlements au milieu des forêts d'algues bonnes pour la santé sont un vrai délice iodé.

La descente continue, ils croisent toutes sortes de bestioles étranges, phosporescentes ou clignotantes qui essaient de se bouffer les unes les autres, avant de toucher le fond ensemble.  

A cette profondeur il y a trop de bulles parasites, ils communiquent donc par gestes.
A l'aide de mimiques grossières autant que comiques, Bertrand arrive à faire comprendre à Julie ce qu'il voudrait faire avec elle.
Celle-ci ne rougit pas, et ce pour trois raisons, la première est que la profondeur modifie la perception des couleurs, la seconde, que les sirènes sont de moeurs assez libres ; la trosiéme est d'ordre physiologique : quand elles sont troublées, les sirènes verdissent.
Et Julie était bien verte, donc réceptive, mais où se trouvait son temple* de l'amour ?

* temple : C'est une image de plus.

Le monde du silence est soudain peuplé de petits cris joyeux, toute une bande de sirènes joueuses comme de jeunes otaries surgissent de derrière le récif.
Ce sont les copines de Julie ravies de la revoir, elles fixent et dévisagent Bertrand avec une infinie curiosité.
Il est tout nu, naturellement.
Julie présente à Bertrand ses petites amies :
" Thécla, Ithomia, Castnia, Charagia, Paphia, Valida, Castopsila, Syngrypta, la petite dernière, Rurina et Rutila, les jumelles et tout à droite : Philodina,
la plus timide !
Elle en devient toute verte (signe d'une réelle confusion, se cache derrière une anémone).
Quelle quiche, reviens Philo, il ne va pas te manger !

Les amies de Julie, je les mélange un peu.

Moi c'est Synura, Julie c'est juste pour la surface ! " lui précise son guide sous-marin après une gracieuse et liquide révérence.

Les créatures marines semblent fascinées, surtout parce qu'il a entre les jambes.
Qu'il ne savait pas si remarquable.
Cela finit quand même par le gêner, il s'empare d'un pauvre concombre de mer qu'il enfile à la manière d'un étui pénien.
Je sais, c'est un peu dégueulasse mai la vie à l'état de nature ne permet pas toujours le raffinement.

Rurina et Rutila s'ébattent dans l'écume.

 

De son côté le garçon fait aussi fonctionner son sens de l'observation :
" Ce sont bien des mammifères, incontestablement ... et qui apprécient la vie en société*... et le contact ... mais soyons correct, on ne peut parler à une sirène de pompiers ! "

* société : Strictement matriarcale comme celle des hyènes rigolardes dont certaines n'hésitent pas à se transformer en faux mâles, juste en faisant gonfler leur clitoris démesurément.
Les mâles sirénes ont aussi la vie dure, en plus ils n'ont pas de queue ...
Ils sont tout petits et leur extrème dépendance les rend mauvais comme la gale, avec plus faibles qu'eux s'entend.
On les voit rarement car ils restent à l'intérieur des femelles, dans leurs invisibles organes génitaux, prêts à l'emploi.

Les petites sirènes ricanent et se pousent de la nageoire en regardant Bertrand.
Soudain dans un nuage de bulles, toute l'ondulante et joyeuse troupe disparaît, d'un coup.
" Qu'est ce qui a pu effrayer cette charmante compagnie ? " s'inquiète Bertrand.
" Un geste déplacé*, un con venant peut-être ? "

* déplacé : Pas de risques, il n'a toujours pas compris où ?

L'infatigable rôdeur
Ne pas bouger, ne pas respirer car l'objet voit tout, entend tout, enregistre tout.

 

Subrepticement une ombre gigantesque passe au dessus le lui, il lève les yeux et voit une muraille d'acier noire et polie défiler dans le plus grand silence, l'objet est très long, magnifique et terrifiant, il doit contenir de quoi faire sauter plusieurs fois la planète.
Il tourne inlassablement au fond des océans, attendant les ordres.

Bertrand regarde s'éloigner le monstre froid et lisse ... un stromboscopique poulpe, intrigué, tourne autour de lui, le fixant de sa rangée d'yeux intelligents.
Encouragés par son immobilité, des petits poissons commencent à picorer le garçon sur tout le corps, c'est totalement planant, certains lui rentrent jusque dans les narines ... en pleine dérive, il se laisse aller à ce grand nettoyage ...

Une baleine à double bosse passe en créant d'énormes remous, Bertrand s'accroche aux madrépores pour ne pas être attiré dans son sillage.
Le doux monstre passe en le fixant de son oeil vif et intelligent.


Elle chante, comme toutes ses semblables, notre lapin plongeur croit reconnaître une très vieille rengaine.

Soudain on tape sur son épaule, le garçon sursaute évidemment : c'est le commandant Costaud accompagnée de sa fidèle Callypso qui porte le matériel et les palmes académiques.
Le scientifique traîne derrière lui un filet où se débat une petite sirène paniquée*.

* paniquée : Pas encore.

Bertrand veut de suite la libérer, c'est noble et pour une fois qu'il fait quelque chose de bien, encourageons-le :
" Allez Bertrand, allez Bertrand ! Allez ! "
C'est suffisant, sinon il prendra la grosse tête et remontera à la surface.
Le commandant refuse d'abord en expliquant :
" C'est uniquement dans un but scientifique ! "
Callypso fait des grands signes que non.
" Il va falloir négocier et ce vieux briscard a le sens des affares ... " se dit Bertrand.

Une idée géniale* lui vint comme ça, naturellement : il vendrait ses extincteurs comme autant de bouteilles de plongée* !

* géniale : Pour une fois que c'est vrai !

* plongée : Tant pis pour qui absorbera le mélange, ils (ou elles) mousseront d'abondance.

Le loup de mer réfléchit (à noter que le loup de terre réfléchit aussi).
" Tope là ! "
Costaud est d'accord, un large sourire illumine sa face burinée et il donne les poignées du filet à Bertrand.

Celui-ci l'ouvre alors en grand, libèrant la sirène captive.

Ces agiles créatures supportent pas mal de vivre dans des aquariums à triple vitrage, elles s'y ennuient et s'étiolent lentement, devenant toutes flasques et perdant leurs jolies couleurs ... tout en grossissant démesurément.
Même si on a ajouté des tas de trucs en plastique pour les distraire (soi-disant).
Un banc de Sciénidés manifestent son approbation par des grognements satisfaits.
La sirène sort d'abord sa petite tête aux cheveux verts puis file vivement rejoindre ses consoeurs qui tournent au dessus d'eux.
Bertrand est content, en fait le bonheur inonde totalement ses branchies.

Il regarde sa montre, heureusement étanche. Il a encore du temps et s'assoit.
Sur des oursins.
Et ça pique, le garçon ouvre un oeil qu'aussitôt éblouit le soleil, il a roulé en plein milieu des orties.
Mettant sa main en guise de visière, Bertrand regarde scintiller la rivière de diamants.
" Ici elle est dans son élément ! " pense t'il.

Adieu Synura, snif, quelqu'un a t'il un mouchoir ?

" La femme est une histoire d'eau ..."
Il avait trouvé ça tout seul, ce garçon adore l'analogie.
" Snnf, snnf ! " notre penseur a l'impression de sentir le poisson chaud.
Il va remonter à sa voiture chercher une casquette.
Avant d'avoir mal au crâne.

Simple curiosité.
S'il existe des créatures à tête de femmes et corps de poisson, l'inverse est aussi possible quoique beaucoup moins fréquent (la surpêche générale en étant la cause, toujours).
Il s'agit des fameuses et terribles migrènes qui arborent sur un corps indiscutablement féminin une jolie figure de characidés ou d'amblyopsidés.
Muettes comme des carpes, elles restent assises dans le noir sur le fond vaseux avant de vous prendre la tête, d'un coup.

 

 

Aperçus

A La Coque Gageac, j'apprécie
Beaucoup la langue française
Et les glands classiques

 

 

 
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