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L'invasion
de Javavava
Pelmarre croyait
avoir déniché le paradis sur terre (l'enfer
il l'avait rapidement trouvé), allongé sous les frangipaniers* à provision,
bercé par le sifflement monotone des kakapos, il caressait langoureusement
la douce et secrète Mavatava-Havaravi.
" Bedit goguin ! " lui susurrait-elle avec son délicieux accent
si complexe.
* frangipanier
: Essence édénique généreuse, cet arbuste produit en abondance une exellente
frangipane, tout comme le cognassier donne des conasses (que certains
apprécient et consomment volontiers, vertes de préférence).
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Couple de flashants
envahisseurs.
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Tout semblait
aller pour le mieux dans ce meilleur des mondes perdus où notre aventurier
avait rapidement trouvé ses aises et ses marques de maillot quand un
violent éclair lumineux le tira soudain de sa rêverie exotique.
Pelmarre se redressa vivement mais un second flash, encore plus proche,
acheva de l'aveugler.
Mavatava-Havaravi, que ses très longs cils (plus de 20 cm !) avaient
protégée du phénomène, lui expliqua qu'ils venaient d'être victimes
d'une énième et maintenant banale " tourista* "
* " tourista
" : Infection post-moderne difficile à traiter sans changer l'ordre
des choses économiques.
Débarrassé de
ses pirates, Javavava était redevenue une île de rêve et cela n'avait
pas tardé à se savoir au- delà des mers plates.
D'énormes paquebots de plusieurs hectomètres ceinturaient l'île en permanence
y déversant des nuées d'envahisseurs en bermudas, boléros et chemises
à fleurs.
Les touristes, c'était le nom générique des envahisseurs, étaient certes
pacifiques mais surtout très mal élevés, ils voulaient à tout prix photographier
les javavavanais ; dés qu'ils en apercevaient un (une, n'en parlons
pas) ces obsédés du zoom le poursuivaient sans trèves de jour comme
de nuit jusque sur ses toilettes sèches.
Ils distribuaient aussi (en échange ?) des liasses de petits papiers
imprimés bien inutiles car les feuilles de palmier pliées convenaient
parfaitement à cet usage merdique.
Impossible de mettre un pied au dehors de sa case sans se faire électroniquement
épingler, et fessebouquement empaler dans les minutes suivantes.
Le ras-le-bol, l'irritation des autochtones étaient pourtant visibles
ce qui n'arrétait pas nos explorateurs en tongues qui continuaient de
shooter sans trèves en invoquant leur inaliénable " droit à l'image
", bien spécifié sur les contrats.
Le paisible îlot était devenu un asile d'aliénés clignotants.
La révolte*
couvait, grondait avant de bientôt exploser. |
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* révolte
: Oiseau de paradis à la vie brève. |
Délaissant les
plages encombrées où l'on ne s'entendait plus, les javavanais se regroupèrent
à l'ombre au flanc les vertes collines pour s'organiser face à cette
catastrophe culturelle qui menaçait de les engloutir.
Pelmarre était l'un des plus virulents et comme il savait écrire on
lui proposa de prendre la tête à tout le monde, je veux dire celle de
l'insurection.
L'intéressé fit d'abord semblant de refuser puis, comme les autres n'insistaient
pas, il accepta vite cette rapide promotion demandant seulement le titre
d'Amiral, ou plutôt de Grand Amiral.
On le lui accorda volontiers n'y voyant pas d'inconvénients majeurs.
Pelmarre
en Grand Amiral toujours a la barre ... mais sans navires.
Derrière on attend
les ordres.
Le nouveau
stratège maritime en profite pour placer un mot historique, de
ceux qui passent directement à la postérité :
" Et pourtant ce n'est pas la flotte qui manque, que d'eau,
que d'eau ! "
Pour l'instant sa flotte était entièrement démontée, tout comme
la mer car le typhon* " Tourneseul " passait par là*, chassant
les buildings flottants et assurant aux habitants quelques jours
de tranquillité à l'abri de ses noirs tourbillons.
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* typhon
: La tornade précédente était si blanche qu'on l'avait surnommé
" Monsieur Propre " ; elle n'avait pas laissé de très bons souvenirs,
seulement des tonnes de ferraille au fond des lagons et une vague
image de champignon dans l'inconscient collectif.
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là : " Il est passé par ici, il repassera par là ! " répétait
les anciens édentés.
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Le calme revint
normalement après la tempète, les gros bateaux blancs aussi qui rebouchèrent
bientôt l'horizon, l'invasion reprenait de plus belle.
Cachés dans la mangrove à moustiques, Pelmarre et ses compagnons attendaient
de pied ferme, malgré la boue malodorante.
Ils crevaient de chaud et les crabes violonistes pinçaient cruellement
leurs orteils nus mais personne ne se plaignait : ils avaient choisi
la liberté, pas le confort climatisé ou des pantoufles de verre !
C'est le plus beau moment de cette histoire salée, essayons d'en profiter.
Au signal du Grand Amiral (le cri du pélican
frisé, les rameurs s'élancèrent sur leurs trémarans* en criant :
" Mayo criditi, mayo criditi ... "
" Mais ça ne veut rien dire ! " s'étaient étonnés les insulaires.
" Les cris de guerre ne sont pas là pour dire quoi que ce soit. "
les rassura Pelmarre qui en savait quelque chose (voir Mécouille,
la bataille, et puis mourir bien sûr).
Et lui
qui espérait se là couler douce...
" Vous pouvez gueuler - saucisse de Strasboug - si vous voulez, le
tout est de crier très fort la même chose en même temps ! "
Les piroguiers répétaient donc en cadence cette bizarre injonction qu'ils
essayaient de rendre plus menaçante en l'accompagnant de leurs plus
affreuses et sauvages grimaces.
L'effet était saisissant ... mais par où ?
* trémarans
: Variante comique du trimaran de sinistre mémoire cannibale.
Les javavavanais
n'obtinrent pas de suite la terreur escomptée, au contraire les touristes
se précipitérent pour mitrailler cette touchante (bien qu'un peu naïve)
cérémonie de bienvenue.
Ils jetaient par dessus bord aux révoltés incompris des sucreries à
pleines poignées, surtout des Bounty (ce qui les révoltaient encore
un peu plus).
Rendus fous par l'infernal scintillement des flashs, les javavanais
aux yeux rouges passérent à l'action directe.
" A l'avattavaque, et pas de quartiers favorisés ! " cria le
Grand Amiral de plaisir.
" Il nous refait le coup de Trafalgar ! " s'étonnèrent ses lieutenants
médusés*.
" Une
bonne prise par Double-Nelson ! " commentait le stratège. |
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" Voilà
qu'il viole les domestiques maintenant ! " s'étonneront les
historiens.
Pour comprendre ça il faut vraiment de la culture, ou être initié.
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* médusés
: Coiffés d'une méduse, signe hiérarchique javavavanais.
Le fait que
ses adversaires soient totalement désarmés allait faciliter la tâche
du Grand Amiral dont la tactique était simple : il avait vu sur un vieux
journal mêlé aux monceaux de détritus salement abandonnés, la photographie
d'un de ses immeubles aquatiques, naufragé parce que tous ses occupants
avaient voulu débarquer en même temps et du même côté.
Pelmarre avait retenu la leçon et il se proposait de reproduire l'incident
à une plus grande échelle de coupée.
Pour se faire il fallait que les javavavanais fassent peur, terroriser
serait encore mieux.
" On jouera les sauvages, les vrais, de ceux qui vont les manger
tout cru ! " avaient expliqué le chef à ses lieutenants toujours
médusés.
Il leur expliqua la suite de sa ruse de guerre à voix basse.
Puis le Super* Grand Amiral sortit une conque, cela faisait plus authentique,
plus Mers du sud, Armand Treuil, Tora-Tora, noix de coco, Tahiti douche
(mon oeil !), etc ...
Il souffla comme un triton crêté dans le bivalce, impossible d'en sortir
un son, Pelmarre rejeta le coquillage dans la saumure tiède et cria
simplement :
" TAVOUS LAVE MAVONDAVE AVA PAVOIL ! "
Traduction :
" Tout le monde à poil ! "
* Super :
Entre temps Pelmarre a encore pris du galon, les promotions sont rapides
dans ce lagon !
A cet ordre
les javavavanais se dépouillèrent de leurs rares vêtements, se léchèrent
mutuellement les babines et, tout en agitant casserolles, louches, couteaux
et fourchettes, se frottèrent lentement le nombril avec délectation.
Le plan fonctionna à merveille, les touristes apeurés se précipitèrent
massivement au bastingage opposé provoquant une gite énorme fatale aux
paquebots geants qui chavirèrent tous les uns après les autres.
La mer était maintenant noire de monde.
On avait heureusement prévenu les requins, ils étaient venus nombreux
et en famille pour le pique-nique du siècle, les mamans expliquant à
leurs petits aux dents nacrées :
" Rappelez-vous, les femmes et les enfants d'abord ! "
" Ne vous excitez pas, il y en aura pour tout le monde ! " ajouta
Pelmarre pour calmer la frénésie sélacienne.
C'était vrai mais tout juste.
" Plus facile qu'à Salamine* ... " commenta sobrement le vainqueur.
* Salamine
: A cette bataille bien plus navale les grecs avaient découpé les perses
en fines tranches après les avoir assommé comme de vilains thons.
Le nom est resté, la charcuterie aussi.
C'est un
peu tard pour appeler au secours.
Le Super Grand
Amiral aurait volontiers conservé quelques spécimens femelles remarquables
" pour la science " mais la sombre Mavatava-Havaravi veillait :
" A l'eau les morues ! " ordonna la cruelle ; on dut tout jeter
aux squales.
Pour amadouer sa javavavanaise Pelmarre lui chantonna en s'accompagnant
au poisson-scie musical :
" J'avoue j'en ai bavé pas vous, mon avamavour ... "
On étouffait complètement sous l'accumulation de colliers de fleurs
entêtantes.
Il se répétait méditatif et ensuqué :
" On va inné ... on va inné ... "
" C'est gonflé ! " annonça sa légitime en esquissant un provoquant
tabouré*, elle venait d'installer le matelas pneumatique pour la sieste
du matin.
* tabouré
: Le vrai tabouré se danse assis tandis que le taboulé se mange le plus
souvent debout.
Après la vie paradisiaque reprit son cours lent, monotone et régulier.
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