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Le bus la
suivait depuis un petit moment et quand il la dépassa, Parulie pût
voir qu'il était rempli à ras-bord de touristes aux yeux bridés
et braqués sur son corsage à fleurs.
Où son corps sage affleure.
Un peu plus loin, un peu plus tard, elle vit l'autocar arrêté et
ses occupants très occupés à prendre des photos sur le bord de la
route.
Notre innocente, n'étant jamais sortie de son village, ne savait
rien de la modernité ; et que dire de la post-modernité ?
Parulie n'avait jamais pu voir de télévision, même les exploits
quotidiens et répétitifs de la fausse gendarmerie lui restaient
inconnus.
Elle ne comprenait pas que ces curieux asiatiques étaient venus
racheter pour une poignée de riz symbolique les entreprises locales
toutes également (et légalement) ruinées par leurs exportations
massives et bon-marché.
Quand ils avaient trouvé un site intéressant, les nouveaux riches
y plantaient un drapeau rouge, symbole de la victoire du capitalisme
socialiste et après les toasts d'usage poussaient un discret cri
de triomphe avant de remonter dans leur véhicule et de s'arrêter
un peu plus loin.
Devant leurs objectifs crépitants s'étendaient un vaste terrain
aplani où de vagues silhouettes grises avançaient en grattant le
sol poussiéreux ; c'étaient les anciens habitants devenus les nouveaux
pauvres du lieu.
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Ils vivaient sur la décharge
et habitaient dedans, seule différence avec les occupants d'autres tas
d'immondices sur la planète, il y avait moins de mouches (à cause du
climat) mais grande abondance de mouettes rieuses et agressives.
Parulie, que le spectacle permanent des malheurs du monde n'avaient
pas encore insensibilisée, s'assit au milieu des fumées âcres et pleura
un bon coup.
Les pénibles aperçus
sur l'avenir économique de la région avaient conduit Parulie au
bord de la Déprime* où une vieille statue bizarrement poilue était
à demi-ensablée.
Sur l'autre rive un natif à casquettes chantait à tue-tête :
" Ses grandes oreilles trempées dans la moutarde, les couilles
rôties par l'incendie ; alors qu'il n'a rien fait ! "
* Déprime : Petite
rivière sujette à de catastrophiques débordements.
La jeune fille engagea
la conversation.
" Elle est belle la statue ! "
" Vous trouvez ? C'est une statue de Pierre Ponce, il y en
a partout ! " répliqua le vocaliste surpris et charmé de la
rencontre.
" Je croyais que c'était du granit... ou du calcaire. "
risqua Parulie.
Le quiproquo était total alors Jean Fonce-Lecloux (c'était le
nom du promeneur solitaire), décida de le dissiper pour de bon.
Assis au milieu des ronces, il raconta à une Parulie toute ébahie
l'incroyable histoire de Pierre ponce le philanthrope, enfant
du pays et génial inventeur de la machine à retourner les situations,
des implants mystiques et du pousse-chakras, entre autres.
Ce fût long et fort intéressant, n'en doutez pas, cependant le
temps nous étant compté et la place réduite, nous en viendrons
de suite à la terrible conclusion.
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Devant l'impossibilité de
communiquer avec ses semblables, malgré ses efforts, Pierre Ponce fabriqua
des statues à l'effigie des habitants qu'il dissémina à travers tout
le pays.
Avec elles il pouvait parler tout son saoul et ne s'en privait pas.
Il n'était plus seul ; ainsi l'inventeur ne se sentit pas trop dépaysé
quand on l'enferma avec d'autres égarés et monomaniaques après de nombreux
appels téléphoniques anonymes.
" C'était des coups de fil en trop à ce malheureux philanthrope !
" résuma la jeune fille qui comprenait vite.
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Encore sous le choc
provoqué par la triste histoire de Pierre Ponce, Parulie piqua
une tête dans la Déprime toute fraîche.
Jean Fonce-Lecloux pût ainsi constater qu'elle n'était pas une
sirène, peut-être une nymphe ?
Il repartit ragaillardi tout en chantant ses curieux refrains
:
" Il est vert dans sa beauté, c'est un fortin dans les sables
mais du venin est dans son moule à briques ..."
Après, comme Vénus, être sortie du bain, Parulie s'allongea et
dormit comme un loir paresseux.
Les rêves ne tardèrent pas à la visiter, elle se revoyait avec
ses trois soeurs en robes rayées courant dans l'herbe verte sous
le ciel bleu entre les bouses marrons et les violettes violettes,
égayant la cour de ferme de leurs jeux cruels.
" Adieu veaux, vaches, cochons, couvées, granges obscures et
jardins ensoleillés ..." gémissait-elle tandis que la nostalgie
lui faisait mal aux seins.
Elle avait assisté impuissante à la rapide agonie de son monde
paysan après la crise de la pomate* transgénique et le terrible
remembrement*.
* pomate : Hybride
soi-disant miracle qui se révéla une catastrophe écologique totale.
* remembrement :
A ne pas confondre avec le bombardement bien qu'ils aient à peu
près les mêmes effets.
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La famine s'en était suivi,
les jeunes étaient partis, les vieux étaient morts, les prix s'étaient
effondrés ainsi que les maisons.
Derniers vestiges d'un monde qui disparaissait, les charpentes de merisier
si finement ouvragées se balançérent quelques temps encore au dessus
des murs ruinés où s'accrochaient des lambeaux de papiers-peints à fleurs.
Les antiquaires accélérèrent le processus en arrachant ce qui restait
en place avant qu'une invasion accidentelle de termites brésiliennes
géantes ne viennent dévorer jusqu'aux boites à lettres.
" Si au moins les archiptères d'outre-Atlantique mangeaient des pomates
..." imaginait Parulie.
(à
suivre)
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