TA MOUILLE
numéro 2

L'AMIDUTABA
présente :

UN DESTIN CLANDESTIN ?

   

 

 
Le bus la suivait depuis un petit moment et quand il la dépassa, Parulie pût voir qu'il était rempli à ras-bord de touristes aux yeux bridés et braqués sur son corsage à fleurs.
Où son corps sage affleure.
Un peu plus loin, un peu plus tard, elle vit l'autocar arrêté et ses occupants très occupés à prendre des photos sur le bord de la route.
Notre innocente, n'étant jamais sortie de son village, ne savait rien de la modernité ; et que dire de la post-modernité ?
Parulie n'avait jamais pu voir de télévision, même les exploits quotidiens et répétitifs de la fausse gendarmerie lui restaient inconnus.
Elle ne comprenait pas que ces curieux asiatiques étaient venus racheter pour une poignée de riz symbolique les entreprises locales toutes également (et légalement) ruinées par leurs exportations massives et bon-marché.
Quand ils avaient trouvé un site intéressant, les nouveaux riches y plantaient un drapeau rouge, symbole de la victoire du capitalisme socialiste et après les toasts d'usage poussaient un discret cri de triomphe avant de remonter dans leur véhicule et de s'arrêter un peu plus loin.
Devant leurs objectifs crépitants s'étendaient un vaste terrain aplani où de vagues silhouettes grises avançaient en grattant le sol poussiéreux ; c'étaient les anciens habitants devenus les nouveaux pauvres du lieu.

Ils vivaient sur la décharge et habitaient dedans, seule différence avec les occupants d'autres tas d'immondices sur la planète, il y avait moins de mouches (à cause du climat) mais grande abondance de mouettes rieuses et agressives.
Parulie, que le spectacle permanent des malheurs du monde n'avaient pas encore insensibilisée, s'assit au milieu des fumées âcres et pleura un bon coup.

Les pénibles aperçus sur l'avenir économique de la région avaient conduit Parulie au bord de la Déprime* où une vieille statue bizarrement poilue était à demi-ensablée.
Sur l'autre rive un natif à casquettes chantait à tue-tête :
" Ses grandes oreilles trempées dans la moutarde, les couilles rôties par l'incendie ; alors qu'il n'a rien fait ! "

* Déprime : Petite rivière sujette à de catastrophiques débordements.

La jeune fille engagea la conversation.
" Elle est belle la statue ! "
" Vous trouvez ? C'est une statue de Pierre Ponce, il y en a partout ! " répliqua le vocaliste surpris et charmé de la rencontre.
" Je croyais que c'était du granit... ou du calcaire. " risqua Parulie.
Le quiproquo était total alors Jean Fonce-Lecloux (c'était le nom du promeneur solitaire), décida de le dissiper pour de bon.
Assis au milieu des ronces, il raconta à une Parulie toute ébahie l'incroyable histoire de Pierre ponce le philanthrope, enfant du pays et génial inventeur de la machine à retourner les situations, des implants mystiques et du pousse-chakras, entre autres.
Ce fût long et fort intéressant, n'en doutez pas, cependant le temps nous étant compté et la place réduite, nous en viendrons de suite à la terrible conclusion.

Devant l'impossibilité de communiquer avec ses semblables, malgré ses efforts, Pierre Ponce fabriqua des statues à l'effigie des habitants qu'il dissémina à travers tout le pays.
Avec elles il pouvait parler tout son saoul et ne s'en privait pas.
Il n'était plus seul ; ainsi l'inventeur ne se sentit pas trop dépaysé quand on l'enferma avec d'autres égarés et monomaniaques après de nombreux appels téléphoniques anonymes.
" C'était des coups de fil en trop à ce malheureux philanthrope ! " résuma la jeune fille qui comprenait vite.

Encore sous le choc provoqué par la triste histoire de Pierre Ponce, Parulie piqua une tête dans la Déprime toute fraîche.
Jean Fonce-Lecloux pût ainsi constater qu'elle n'était pas une sirène, peut-être une nymphe ?
Il repartit ragaillardi tout en chantant ses curieux refrains :
" Il est vert dans sa beauté, c'est un fortin dans les sables mais du venin est dans son moule à briques ..."
Après, comme Vénus, être sortie du bain, Parulie s'allongea et dormit comme un loir paresseux.
Les rêves ne tardèrent pas à la visiter, elle se revoyait avec ses trois soeurs en robes rayées courant dans l'herbe verte sous le ciel bleu entre les bouses marrons et les violettes violettes, égayant la cour de ferme de leurs jeux cruels.
" Adieu veaux, vaches, cochons, couvées, granges obscures et jardins ensoleillés ..." gémissait-elle tandis que la nostalgie lui faisait mal aux seins.
Elle avait assisté impuissante à la rapide agonie de son monde paysan après la crise de la pomate* transgénique et le terrible remembrement*.

* pomate : Hybride soi-disant miracle qui se révéla une catastrophe écologique totale.

* remembrement : A ne pas confondre avec le bombardement bien qu'ils aient à peu près les mêmes effets.

La famine s'en était suivi, les jeunes étaient partis, les vieux étaient morts, les prix s'étaient effondrés ainsi que les maisons.
Derniers vestiges d'un monde qui disparaissait, les charpentes de merisier si finement ouvragées se balançérent quelques temps encore au dessus des murs ruinés où s'accrochaient des lambeaux de papiers-peints à fleurs.
Les antiquaires accélérèrent le processus en arrachant ce qui restait en place avant qu'une invasion accidentelle de termites brésiliennes géantes ne viennent dévorer jusqu'aux boites à lettres.
" Si au moins les archiptères d'outre-Atlantique mangeaient des pomates ..." imaginait Parulie.

(à suivre)

 

 

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