TA MOUILLE
numéro 3

L'AMIDUTABA
présente :

UN DESTIN CLANDESTIN ?

   

 

 

" P. de B. de M. ! " s'écria Parulie en colère.
C'était une jeune fille bien élevée qui ne jurait pas souvent mais elle s'était enfoncée une épine dans le pied et malgré tous ses efforts ne pouvait retirer l'intrusif objet de son menu peton.
Elle ne pouvait plus marcher et devait rester là, dans cette petite gare où les trains ne passaient plus depuis la dernière restructuration du transport ferroviaire.
Désolée, elle appela à son secours le saint de sa paroisse :
" Saint Ptôme, je vous en supplie, aidez-moi ! "
D'au dessus les nuages une grosse voix à l'accent de Toulouse retentit :
" Saint Ptôme d'accord mais lequel, le Majeur, le Mineur, le petit Quinquin* ? "
La culture religieuse de Parulie avait des lacunes, elle ne sut que répondre :
" Euh ... Saint Ptôme ... l'Auriculaire* !"

* Quinquin : Il faut être un enfant pour comprendre.

* Auriculaire : Ainsi nommé à cause de ses oreilles distendues par de cruelles mortifications.

Une énorme hyène baveuse apparût agitée de ricanements convulsifs caractéristiques de son espèce ; d'abord terrorisée, Parulie garda son calme bien au chaud et introduisit doucement son pied léger dans la gueule puante.
En deux coups de sa grosse langue râpeuse, le charognard enleva l'épine du pied de la jeune fille.
Soulagée, Parulie donna deux sucres au terrible carnassier :
" Un pour aujourd'hui, un pour demain ! " expliqua t'elle, puis la belle et la bête reprirent chacun leur chemin *

Avec ses derniers sous Parulie entre dans une boulangerie où tout le monde se léve aussitôt pour Banette, faut dire qu'elle lui ressemblait beaucoup.
En s'approchant de la caisse pour payer, la demoiselle remarque une petite affichette scotchée dessus, elle se penche afin de mieux lire son contenu.
Sa brusque inclinaison provoque chez le brave boulanger un raidissement de la baguette, une distension de sa braguette et ce cri du coeur enfariné :
" Oh, voilà de jolies brioches bien rondes ! "
Le texte est écrit si petit que la jeune fille doit à demie s'affaler sur le comptoir afin de le déchiffrer ; la queue, déjà longue à cette heure d'affluence, est soudain très agitée, les sifflements admiratifs et les exclamations en rut massif fusent.
La boulangère rétablit l'ordre à grands coups de son rouleau à pâtisserie :
" Ne poussez pas derrière ! Que ceux qui sont déjà servis sortent, s'il vous plait ! "

Au milieu du brouhaha, Parulie reste concentrée, elle lit :

 
  " Cherchons jeune fille bien sous tous rapports qualité-prix ; travailleuse, sobre, de bonnes moeurs et d'éducation catholique certifiée. S"adresser à madame la Comtesse Tostérone au château. "  
 


Elle prend note et sort en courant suivie par les gars du village ; heureusement le château n'était pas loin, Parulie arriva toute essouflée devant les imposantes grilles du portail.
Elle sonnit et attenda.
Des pas lourd résonnèrent sur le gravier sec et un grand valet de chambre dinosaurien et suspicieux vint ouvrir.
Les échos d'une musique aigrelette parvenait du parc, ce soir la Comtesse Tostérone organisait son rituel concert hebdomadaire ; au programme, un seul morceau mais de taille : le pavé symphonique de Vincent Dindon en dix parties charnues plus un mouvement régulier.
" Que des femmes ! ' remarqua immédiatement Parulie.
La Comtesse en personne et en culotte bleue (sans doute à cause de la chaleur) faisait les amabilités d'hôtesse ; après avoir donné quatorze enfants à son noble mari, elle avait découvert sur le tard les charmes de l'homosexualité féminine et eût tôt fait d'y convertir ses voisines.
Toutes regardaient notre héroïne avec attention ...

Devant les cuisines, unité de lieu, pendant les vêpres, unité de temps, Parulie et Fernand Daile (le valet de chambre dinosaurien) parlent à voix basse, unité d'action mais stop, arrêteons là, je n'ai plus d'unités.
La jeune fille est très contrariée :
" Non, non et non, je ne le ferais pas ! "
" Mais si ma petite, tout se passera bien, fais simplement comme j'ai dit, ouuuargh*!" lui murmure l'enjôleur reptilien.

* ouuuargh : Cri fossile, à conserver absolument.

Vous en déduisez qu'ils préparent un mauvais coup (et pourquoi pas un bon ?) ; en effet, ils complotent tout en épluchant les patates.
Fatigués de travailler de l'aube au crépuscule pour des clopinettes avariées et ne supportant plus la musique du dandy ardéchois, les deux asserviteurs ont décidé de s'enfuir du château.
Mais pas les mains vides, et le reptilien Fernand insiste bien là dessus, ils emmèneront avec eux ce qui fait la fierté de la comtesse, une immense toile de Jute* qui trône au dessus de la cheminée tricentenaire.
C'est une peinture de la période dite " glaciaire " du maître, justement celle que les collectionneurs de mon dentier s'arrachent à prix d'or.

* Jute : Ce peintre est surtout connu pour sa curieuse habitude de se masturber en peignant ; ce qui donne cette touche si caractéristique et ces lumineux glacis collants.

Seulement la toile est très lourde, il faudra en couper et faire fondre une partie, la partie zénithale sans doute pour ne conserver que les personnages du bas, de pauvres pêcheurs et de vieilles morues aux pieds nus aux dents jaunes.
" Mais qu'est ce qu'on va en faire ? " s'inquiète la jeune fille à l'esprit pratique.
Fernand a tout machiavéliquement prévu ; mais d'ailleurs, pourquoi tant de haine ?
Cherchons-en les raisons dans la boite à jouets de sa petite enfance.
Il fût récolté dans un très vieux nid miraculeusement intact et mis à couver sous une vertueuse poule avec d'autres gentils poussins.
Rien n'y fit, il redevint naturellement méchant et quand le jour de ses trois ans on l'affubla d'une tenue ridicule pour en faire un larbin, il jura qu'il le ferait payer à tout l'univers.
Depuis il en attendait patiemment l'occasion, comme un bon reptile.
Le moment de la vengance froide était arrivé et Parulie en serait l'instrument docile ; on allait enfin voir de quoi l'enfoirosaurus était coupable (pardon, capable) !

(à suivre)

 

 

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