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LA PITTI
- GINA
Le 31 mai à Rompizan.
SOUVENIRS
A VENIR
Quand Bertrand franchit la
porte aux cent clochettes, la Pitti vint en mangeant, lentement.
En fait, elle ne ressemblait à personne, ou plutôt on ne pouvait connaître
ni même deviner sa silhouette dissimulée sous d'épaisses couches de tissus
superposés aux chatouillants motifs.
Bertrand ne percevait que l'éclat parcellisé de ses yeux sous la voilette
violette.
" Finissez tranquilement, lui dit-il, l'avenir peut attendre ! "
Elle était sans doute rousse, c'est la seule chose qu'il pouvait voir,
quelques boucles frisotantes et cuivrées.
Pour quelqu'un, comme lui, qui ne se fie qu'aux apparences, c'est un vrai
handicap.
Et une réelle privation,
mais bon, il n'était pas venu pour sa ... pardon, pour " ça " conclut
le replay-boy..
Chez la Pitti c'était un tel
capharnaüm qu'elle dût se frayer un chemin pour parvenir jusqu'à lui.
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Le garçon sursauta, des
capibaras nains couraient partout, la Pitti en fit déguerprir toute
une portée glapissante de la chaise afin qu'il puisse s'asseoir.
Lapin.Blanc.Rapide eut
un haut-le-coeur, entre rongeurs, on ne s'apprécie pas beaucoup.
Au mieux, on s'ignore ; la plupart du temps, on se fuit et on s'évite.
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Une fois posé, le garçon formula sa requète :
" Madame Pitti, je voudrais connaître mon avenir ! "
" Ca m'aurait étonné ! " répliqua une voix aigüe et grinçante dans l'obscurité.
" Pardon ? " demanda le garçon étonné.
" C'est Pépé mon perroquet, c'est un moco*à queue verte, il m'assiste
dans mes consultations ! ".
* moco : Ce psittacidé est
volontiers moqueur.
" J'aurais préféré un peu
d'intimité ... " suggère notre héros.
" Ca m'aurait étonné ! " hurla l'exotique volatile qui entre-temps s'était
rapproché.
La bestiole lui cassait vraiment ses grandes oreilles :
" On ne peut pas le mettre dans la pièce à côté ? " demanda Bertrand.
" Espèce de connard ! " gueula l'irascible volatile.
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Réflexions
croisées
Pépé
le moco :
" Espèce de connard ! "
W.S.R
:
" Change de disque oiseau de malheur ! "
" Laissez, laissez, c'est
affectueux, il vous aime beaucoup, je le sens ! " ajouta conciliante
la voyante camouflée.
" Et c'est réciproque, n'en doutez pas, hein, la voix de son maître
... ", il fait un signe obscène à l'oiseau.
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" Espèce de triple connard
! " gueula l'irascible volatile.
" Ne l'excitez-pas ! Pépé a mauvais caractère ! " lui conseille la femme
tout en étalant un paquet de cartes ouvragées et usées sur un coin de
table libéré*.
* libéré : Tout récemment.
Communiqué
du F.L.C.T Front (de) Libération (des) Coins (de) Table.
De derrière sa voilette,
la Pitti l'observe :
" Vous voulez connaître votre avenir monsieur Biquet, d'accord,
mais lequel ?
Financier ?
Social ?
Professionnel ?
Amoureux ? "
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" Amoureux, seulement mon avenir
amoureux (sexuel, ça va avec ?) ... le reste je préfère l'ignorer ! "
" Ca m'aurait étonné, l'autruche ! " ajoute pertinemment Pépé le moco
qui a (parfois) un peu de vocabulaire.
Et quelques notions ornithologiques.
" Allez-y, ne vous occupez pas de lui, tirez une carte et retournez-la
! "
Bertrand s'exécute de sa propre main :
" Oh la là ! ... tirez-en vite une autre ... " suggère la voyante inquiète.
Bertrand recommence, la Pitti s'étonne derechef :
" Pfff ! Eh ben dîtes donc ! Prenez-en encore une ... en vous concentrant
bien "
Nouvelle carte, nouveaux commentaires :
" J'ai rarement vu ça, à croire que vous le faîtes exprès ... choisissez-en
une dernière ! "
Bertrand est terrorisé, en tremblant il sort un autre tarot du paquet
et il le retourne, la cartomancienne sursaute épouvantée, en se signant
elle se penche et lui murmure, rassurante et maternelle :
" Il va se passer quelque chose ! "
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" Espèce de
connard ! " renchérit l'autre.
" Merci, c'était super ! " le garçon se lève vite et ressort à reculons
de la divinatoire boutique.
Il a payé* d'avance (2OO euros), il peut s'en aller la tête haute
et l'humeur un peu mauvaise :
" C'est un peu cher pour se faire insulter par un perroquet fou !
" constate le lapin sans avenir.
Mais au moins c'est fini, il ne veut plus rien savoir du futur, il
est guéri.
D'ailleurs cela ne l'intéressait pas vraiment, enfermé qu'il est dans
son perpétuel présent.
" Les projets ce sera pour plus tard ! " conclut-il logiquement.
Bertrand se retrouve de nouveau dans la rue, quelque chose d'anormal
l'intrigue de suite, mais il n'arrive pas à cerner l'étrangeté.
Après un long moment passé hagard sur la chaussée, il comprend l'origine
de son trouble :
les hommes ont tous disparu de la circulation !
Et du reste de la cité, comme dans sa moite rêverie du sauna bourdelais.
Bannis de Rompizan ? |
Non, ils sont toujours là,
partout, aux mêmes places, fonctions et emplois divers, simplement Bertrand
ne les voit plus.
Son hyper-spécialisation lui joue des tours, c'est une loi de l'évolution.
A force de ne penser qu'aux femmes, il ne voit plus qu'elles !
Normal.
* hyper-spécialisation :
C'est un facteur fragilisant, parlez-en avec Jean Culle (le grand philosophe)
Lien G.E, lui il est hyper-hyper-spécialisé.
En annexe vous pouvez lire
un résumé de sa révolutionnaire théorie de l'évolution.
La Pitti l'avait regardé s'éloigner, son moco sur l'épaule.
Elle sourit en le voyant planté dans le bitume tel un poireau qui n'a
plus la rassurante rangée pour se situer.
Il faisait chaud et Bertrand serait sans doute son seul client avant bien
longtemps ...
Elle se dévoila donc lentement (vu le nombre d'épaisseurs) et fût bientôt
nue avec à ses pieds des monceaux de gaze et de mousselines (purée !).
C'est bien évidemment
à cet instant que Bertrand, qui avait oublié son parapluie*, entra
de nouveau dans la boutique.
" Ca m'aurait étonné
! " hurla l'oiseau furibard.
La très chère était
nue donc, seul son visage était encore voilé.
* parapluie : Mais
il n'avait pas de parapluie ?
Non, mais
c'est ce qu'on oublie le plus facilement ... avec les promesses.
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Bertrand ouvrit grand les yeux,
mais ne fit aucun commentaire car il était trop stupéfait.
Tellement qu'il en oublia définitivement son parapluie (vous voyez !).
La vue de ce corps épanoui et multicolore* lui fit l'effet d'une bombe
à fragmentation, il ressortit dans la rue prêt à tomber en petits morceaux
de sucre au moindre choc frontal.
* multicolore : Les nombreuses
gélatines teintées collées aux vitres transforment, avec l'aide gracieuse
du soleil) l'enveloppe charnelle de la voyante en une sorte de fantastique
arlequin.
La tête toujours emmitouflée,
la Pitti attendait, et si le garçon avait encore oublié quelque chose
?
Malheureusement non, espérance déçue (quelle rangaine !), ses capibaras
nains avaient recommencé à courir de partout en gouinant*.
* gouinant : Si vous ne
le saviez pas déjà, le capibara gouine (surtout en fin d'après-midi).
La Pitti était en fait très
agée, presque autant que son perroquet mais par un caprice bizarre de
la nature son beau petit corps n'avait pas pris une ride.
" Je n'ai qu'une seule ride, et je m'assois dessus ! " répétait-elle fiérement
à qui voulait l'entendre.
Mais il n'y avait pas grand monde ... ça n'avait pas toujours été ainsi,
loin de là !
" Souvenirs, souvenirs ... ", ils remontent à sa surface instantanément
comme des petits canards en plastique dans une baignoire.
Elle se projeta de vieilles diapositives :
clic-clac
/ En 1868 deux bourgeois en claques se battirent en duel comme
des chiens pour ses beaux yeux (et le reste) de cocotte en papier
crépon.
Toujours bien entretenue.
Ils s'entretuèrent avec application (et tous les honneurs) ce qui
simplifia bien les choses. |
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clic-clac / Un
peu plus tard, toujours à l'horizontal au Grand Hôtel du Nord avec
Léon Granbéta, c'était la belle époque !
" Gina*, molto, frigida ! " rététait le grand homme que l'amour
rendait gaga.
* Gina : C'est donc
le prénom de notre aventurière et Orant son nom de famille, aussi
italienne que moi.
Ajoutons qu'à l'époque il n'était pas nécessaire de la secouer beaucoup
avant de l'ouvrir.
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Un sourire délicatement nostalgique
passa sur ses lèvres froides (vous ne pouvez pas le voir mais moi je le
sais).
Là elle danse le charleston, ça vous étonne ?
clic-clac / Départ
pour un nouvau monde :
" What a french kiss ! Love, love, love ! "
Puis vint la catastrophe !
clic-clac / Gina
tombe amoureuse d'un bel officier lors d'un quadrille renversant,
il se fait malheureusement tuer presque tout de suite.
Ses forces l'abandonnent pour de bon, elle se marie.
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Devenue par la force
des choses Madame Ligatore, elle s'habille en garçonne et les autos
la klaxonnent.
Tut-tut-tut
Elle connut un temps l'existence
ménagère avant de déménager
pour de bon.
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clic-clac / Remarquez,
elle avait appris des trucs, par exemple faire ses paquets.
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Conseil pratique :
Le
paquet cylindrique.
Entourez le paquet cylindrique
d'une bande de papier dépassant au-dessus et au-dessous d'une largeur
égale au rayon du cylindre (1).
La partie dépassant de
la feuille de papier est soulignée de plis faits à la main (2, 3
et 4).
Au centre une pastille recouvrira et maintiendra en place les plis
(5 et 6).
Effectuer la même opération
pour le dessous de la boite.
Beaucoup moins intéressant le paquet rectangulaire.
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Image
suivante, s'il vous plait :
clic-clac / ... c'est flou !
La Pitti a les yeux humides, problème de focale sans doute.
clic-clac / Gina Ligatore
croquait les hommes d'un coup puis elle les digérait lentement.
Parfois elle
gardait un pull-over, en souvenir.
En Amérique elle épousa successivement une demie-douzaine de milliardaires
blancs* qu'elle ruina, comme ça, par désoeuvrement.
Et aigreur, car elle ne supportait plus d'être achetée*.
En fait, elle ne supportait plus rien, même sa culotte !
* blancs : A cette
époque il y avait peu de milliardaires noirs.
* achetée : Elle
n'avait qu'à pas se vendre !
Ce n'est pas toujours si simple.
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clic-clac / Là
c'est pendant des vacances à Julotville.
clic-clac / Mon
joli canapé.
clic-clac / Le
pont du Gard ... passons !
La Pitti s'était
égarée dans tout ce passé.
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clic-clac
/ Ah, ici on peut voir Gina en danseuse de french-cancan chez les
sioux hunkpapas, public très placide qui soulignait seulement d'un
" Ugh " à l'unisson ses meilleures cabrioles.
" La squaw est très souple, ugh ! " |
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Sous le tepee
elle passa du bon temps avec le chaman Pèle-du-gland qui la fit suer
tant et plus entre deux pipes (on dit calumets !).
" Pour la purifier ! " répétait l'homme-médecine.
La vie au grand air lui fit beaucoup de bien.
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Revenue en Europe,
elle devint aussitôt féministe et se débarrassa des symbles oppressifs
de sa vie passée.
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clic-clac
/
" Non, pas les bas ! " criaient ses admirateurs.
Elle jeta aussi tous ses soutiens-gorge.
" Ah oui, ça d'accord ! ". |
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clic-clac /
Et puisque les hommes lui racontaient toujours la même chose elle
décida de vivre directement avec un intelligent perroquet (Pépé)
qui depuis la bécotait et la picorait tendrement.
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clic-clic-clic
/ le chargeur est vide ...
" Ca m'aurait étonné ! " articule le psittacidé déçu et que ces
projections ravissaient.
" C'est tropico ! " crut bon d'ajouter l'animal publicitaire.
Son vieil oiseau la regardait
intensément, en tournant sa tête dans tous les sens.
De sa voix si particulière (et si insupportable) il finit par articuler
:
" Je t'aime ... "
" Espèce de connard ! " lui répondit affectueusement Gina.
Cela fait toujours plaisir à entendre.
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Dehors, Bertrand avait disparu
... au coin de la rue emporté par une rafale en plein centre-ville.
Le vent furieux retrousse les robes des femmes, le lapin curieux regarde
: c'est toujours pareil et toujours différent !
Dans son nouveau monde monosexuel, le garçon n'est plus du tout angoissé
; il veut dire quelque chose mais ses paroles s'envolent immédiatement.
Heureusement (?), ses écrits restent dans le disque dur.
Il se revoit sur son petit nuage* moelleux et si bien fréquenté ...
" Espèce de connard ! " crie du fond de l'azur le choeur des mécontentes
de lui.
Heureusement il n'a pas bien entendu, car il est bien le pire sourd.
* nuage : A ce propos, il
cherche toujours où était l'erreur.
Devenu, par la force des songes*
(66 !), l'unique centre d'intérêt des rompizanaises qui tournaient désemparées
autour de lui en battant des nageoires, il se dit qu'il serait grand temps
que cette histoire s'arrête.
En une belle queue de poisson ; ouie, ouie !
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Aperçus
A Rompizan,
il prit le pain
Et le rompi*
Zan ! fit la vénérable croûte
* rompi : Très vieux
fromage.
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