VALENTINE
Le 28 mai à Cyrosse

 

Valentine avait de tout petits tétons remarqua de suite Bertrand.
Et aussi un joli petit menton.
Mais ce qui attirait invinciblement les regards du garçon, s'étaient ses tout petits petons.
Si minuscules que Lapin.Blanc.Rapide les voyait à peine dans l'objectif réduit et déformant de la web-cam.
A part ça, frisée comme un mouton ...
Et rusée comme un triton crêté, elle venait d'envoyer à Bertrand cet e-ronique e-mail :

  Cher monsieur
Quelles seraient donc ces étonnantes qualités qui feraient que je recherche votre compagnie.
Valentine
 

* crêté : Le triton lobé est très rare en Suisse ; une information, ça se partage.

Bertrand surfe en bonne compagnie électronique.

La réponse revint comme l'éclair à travers le cyber-espace :

  Bien chère mademoiselle
Je suis solide comme du béton, doux comme un futon, fort comme un piton, fragile comme un santon de province, droit comme un bâton, vorace comme un glouton, souple comme du carton, rigide comme un planton, vif comme un caneton, rose comme un bouton de fièvre et aussi coquin que 36 cochons (vous voila prévenue) !
Je suis aussi parfois beau comme un thon.
Bertrand
 

Un petit tour par sattelite et la réponse s'affichait sur l'écran rosé*.

* rosé : Encore un faux-contact ! A quand le vrai contact ?

 

 

Cher monsieur
Vous êtes bien Biquet et ce rigolo pseudonyme (comment ça !) vous va à merveille."

Cette Valentine est une coquine, se dit Bertrand, tant mieux !
" Voulez-vous être mon ami ? "
demandait la machine (enfin son programme).
La machine ne demande jamais rien, en cela, la femme n'est pas une machine.

Si oui, tapez 1 !

Il tapa 1 évidemment.

Mon ami pour toujours ? Tapez 1
Mon ami pour les vacances ? Tapez 2
Mon ami pour ce soir ? Tapez 3
Mon ami d'autres amis (?) ? Tapez dièse

Bertrand tapa 3 mais ça commençait à le gonfler.

Bien joué !
Vous êtes mon ami pour ce soir !
Pour savoir si vous êtes mon VRAI ami pour ce soir tapez F
Pour savoir si vous êtes mon PETIT ami pour ce soir tapez U
Pour savoir si vous êtes mon FAUX* ami pour ce soir tapez N
Pour savoir si /

 

* FAUX : C'est un piège !

Bertrand tapa U, sans hésiter, ce soir il se sentait fort.
Il eut aussi envie de taper qu'il était un salaud de pédophile cruel et ... et plein de caca.
Mais il ne le fit pas.
Il attend.
Miracle, Valentine revient sur l'écran, et avec le sourire ! "

C'est vrai qu'elle a de tout petits tétons ! " se souvient le garçon avec plaisir.

  " Félicitations Bertrand, tu as surmonté toutes les épreuves (?).
Tu es maintenant mon seul petit ami pour ce soir.
Compose vite le code secret et nous connaîtrons ensemble le grand frisson analogique.
A tout de suite ...
Compose vite le code secret et nous etc ... "
 

Et l'apparition frisée lui envoie un baiser.

" Mais quel code secret, bordel ! "

Lapin.Blanc.Rapide était furieux, sa quète d'amours virtuelles tournait court.
Valentine avait disparu, réabsorbée dans la toile de fond.
C'était la fin de son étreinte numérique.
" C'est mieux que rien ! " se dit-il pour se consoler un peu.
Il se trompait car rien, ce n'est pas mieux que rien.
Le garçon s'ouvrit un petit pot de compote de pommes, totalement fauché, il avait du se résigner à passer cette soirée en tête-à-tête avec son ordinateur, et sa compote.
C'était un peu austère comme folle compagnie mais Bertrand voulait en profiter pour essayer de nouer quelques amoureux liens électroniques, pour le futur proche.
Et l'évanouie Valentine était sa première connexion.


Son dépucelage analogique était un fiasco, il était maintenant totalement découragé.
C'est incroyable comme ce garçon change rapidement d'état, d'idée, d'humeur et de comportement.
Versatile dit-on ?
L'ordinateur se remit à clignoter en émettant une trépidante musique de manga à la manque.
Bertrand s'en approcha.

Hourra !

C'était Valentine, enfin son bondissant avatar électronique, gaulée comme Clara Rofte, elle allait et venait sur l'écran, le défiant avec des mimiques provocatrices.
Elle se rapproche, cligne de ses yeux électroniques et lui tend sa main gantée.
Le garçon la saisit, et ce fut le début de l'infernale poursuite.
Ils se retrouvèrent sur une mince plateforme jaune où poussaient à toute vitesse d'envahissantes fleurs bleues toutes inodores ; Bebert* se précipite alors sur Titine* qui saute sur la plateforme suivante, une rouge pleine de grandes fleurs jaunes qui gênent la progression de l'amoureux potentiel.

Heureusement non encore transi car dans ce monde de connexions, ça chauffe.

* Bebert - Titine : Leurs e-dentités virtuelles.

Prêts ?
Les agiles avatars se sont bien échauffés, ils vont démarrer comme des fusées.
Partez !

Notre héros s'en voit pour grimper sur la plateforme suivante, afin de l'encourager, Valentine se retourne de temps à autre et soulève son t-shirt afin de laisser entrevoir à Bertrand ses tout petits tétons.
Cette fugitive vision encourage Bertrand à persévérer, malgré sa lassitude (et son peu d'entraînement), il escalade la dernière plateforme.
Si seulement on pouvait baisser un peu la musique !
" Cette fois elle est coincée ! " se dit Bebert tout essouflé, sautant au milieu des fleurs oranges qui ne sentent toujours rien, il se rapproche, il va enfin l'attraper ...
Las !
Une trappe s'ouvre et Titine disparaît dans un autre monde, underground celui-là, peuplés de zobis* querelleurs et de plosses à moitié endormies.
Qu'il ne faudra surtout pas réveiller.

* zobis : Zombies ultra-phalliques.
Si vous les effleurez, ils rejettent tout autour une substance crèmeuse et collante dont vous ne pouvez plus vous dépétrer.

* plosses : C'est ce que vous voulez, de préférence violacé

Et la triviale poursuite de continuer, e-mobile et haletant sur place, Bertrand secoue la manette polie dans tous les sens, the game est loin d'être over.
" Love me tender .. " chantonne sa radio nostalgie.
Mais ce n'est vraiment pas le moment de s'attendrir car la malicieuse Titine jette en permanence des sorts* au pauvre Valentin mal à l'aise avec son nouveau - joy stick - beaucoup trop sensible. .

* sorts : Destinés à retarder l'amoureux garçon mais surtout à l'embrouiller.
Attention cependant, de temps à autre et sans crier gare, un sort étrange change le sens de la poursuite, comme chez les enzymes gloutons.

Le garçon avance en détruisant tout ce qui est devant lui (c'est le principe), tout sauf Titine bien sûr, bien qu'elle le nargue hardiment.

Pour les besoins de cette nouvelle animation, il devient Valentin, " a romantic warrior " doté de quelques super-pouvoirs avec lesquels il n'aura malheureusement pas le temps de se familiariser.
Car Valentin court déjà, remontant l'interminable souterrain dans un vacarme pas possible, Titine est toujours devant lui, zigzagant habilement entre les affreux zobis ; lui, Il commence à en avoir sérieusement marre de cette traque incessante (idem de cette trique chronique).


Il vient de marcher sur la queue d'une plosse de bonne composition, celle-ci s'étire puis se rendort, ouf !
L'haleine pourrie du monstre a quand-même envahi le souterrain, Valentin se dépêche d'en sortir pour déboucher au calme, dans un monde merveilleux de plus.

Les petits oiseaux y chantent.
L'amoureux électronique s'assoit alors et contemple le non-paysage, obstinément.
" Regarde plutôt mes seins, Valentin ! " (car c'était sa fête aujourd'hui) lui crie la chipie pixellisée...

Il refuse de tourner la tête trouvant que la partie avait assez duré, il contemple ce nouvel environnement, désertique mais bizarrement frais.
Et qui appelle à la méditation sous l'unique palmier ... pas pour longtemps car surgit d'entre les dunes alanguies et molles, abritée du soleil virtuel sous un grand parasol*, une foufoune dorée toute sertie de scintillantes pierreries.

* parasol : Attention au trou dans la zone, même sous abri.

 

" J'espère que c'est un vrai mirage ! " se dit mon légionnaire (c'est sa nouvel identité ludique).
Il n'avait plus l'intention de remuer le moindre doigt de pied, sinon pour le mettre en évantail, avec les autres.


L'éclatante foufoune (Moussemé pour les intimes) passe et repasse devant lui, l'aguichant, lui tirant les poils* pour le faire sortir de sa torpeur, elle l'asperge aussi à chaque fois de spray parfumé.
Et hilarant, mon légionnaire se tord sur le sable chaud.
Non de douleur, mais de rire.
Entre deux hoquets, il entonne :
" Tiens voila du boudin ! "
Et il joint le geste à la parole, pour faire bon poids.

* poils : Précisons pour la bonne compréhension de cette histoire d'amour qu'en même temps que Titine se transformait en foufoune dorée, Valentin devenait une grosse bite d'acier aux poils de fer.

Moussemé est sur la défensive, acculée (prononcez bien) par la chose, qui la pousse juste au bord de ses derniers retranchements.
Où elle se rétablit, astucieusement elle enclanche alors son valseur*en fréquence rapide, elle se met à vibrer, à entrer en résonnance avec ce cosmos artificiel.

Monlégionnaire ouvre ses grands yeux très clairs, il ne les croit pas toujours, comme à cet instant.

* valseur : Il s'agit ici du petit valseur, le grand, personne ne l'a encore vu.
Ce dispositif d'oscillation perpétuelle rend toute approche difficile, voire dangereuse.

Nos deux joueurs, à gauche, Moussemé et son petit valseur en activité, à droite; Monlégionnaire, toujours assoifé d'amour.

 

Réflexions croisées

Moussemé
(alias Valentine) :
"Je sais... deux secondes seulement."

Monlégionnaire
(alias W.S.R) :
" Tu es terrible parfois.
Tu vas commencer par où ? "

Le soldat de fortune pourrait utiliser son éjaculateur bipolaire, il ne le fera qu'en toute dernière extrémité, au bout du bout.
Il s'enfouit sous le sable chaud jusqu'à la taille puis défait sa réglementaire chemise et montre à l'insaisissable chaude son tatouage sauvage.
Moussemé en tombe raide, prise d'horizontales convulsions ... ce serait le moment d'en profiter.
Son valseur immobilisé, elle est à sa merci, bien.
Monlégionnaire ôte prestement son pantalon de sortie et dénoue ses longues bandes molletiéres, enfin il essaie car ce n'est pas facile, ni pratique.
Il perd du temps, ce n'est pas bon.
Sa prisonnière du désert va t'elle enfin succomber ?
Hélas, ce petit retard* l'a perdu, l'intenable créature vient de récupérer plusieus petites lunes qu'elles avaient cachées dans une oasis en bouteille.
Elle en gobe une, un éclair orange la traverse et de nouveau bourrée d'énergie, elle repart traçant dans les dunes une sinueuse trace comme une vipère des sables.

* retard : Avec les femmes tout est une affaire de chronologie : quand c'est le moment, il ne faut surtout pas le rater parce que après ce sera trop tard, ou trop tôt, mais jamais plus quand il faut.

" Ces coquines, il vaut mieux les peindre ! " lui souffle un vieux méhariste chercheur de météorites et peintre du dimanche après-midi.
Car pendant ce temps gaspillé, l'ammodyte fourbit de nouveaux charmes.
La poursuite va reprendre, c'est maintenant l'escalade, la course aux armements, le déséquilibre de la terreur, le grand chibre, la guerre des ___ Plop !
Ca y est, le lapin virtuel a fait son petit bug, après tous ses efforts il a seulement réussi à planter ... l'ordinateur.

" Ce jeu de rôle
n'est vraiment pas drôle ! "

Sainte Nitouche vient encore une fois à sa rescousse, elle lui explique gentiment :
" Mon pauvre Bertrand, il faut toujours que tu dramatises, ce n'est qu'un jeu !
Et tu ne sais pas bien jouer, voila tout !
Tu prends ces choses vraiment trop au sérieux, détends-toi, il le faut ! "

" Au sérieux, moi ? C'est la meilleure ! " ricane Bled (entre temps, il a déserté et repris un autre nom, plus local).

" Ce jeu de rôle n'est vraiment pas drôle ! " de colère l'ex-soldat de fortune jette tout son inutile barda et s'allume une Gauloise " Troupe ", cette fois il ne marche plus.
A t'il fait sa raidition ?
Pas encore, pour l'instant il se repose du guerrier.

* Bled : Entre temps il a déserté et changé de nom, par précaution.

Il avait heureusement pu éviter le pays des femmes sans tête.

Notre " sexual hero " a put reprendre quelques forces, il bande (ses muscles) et le sexe un instant avachi se redresse difficilement pour reprendre sa désertique errance.
C'est beau et émouvant, rendons-lui les honneurs perdus et envoyons toutes les couleurs.
De derrière les fausses dunes lui parvient une sonnerie de clairon toute valentinienne.
" Tiens voila mes boudins ! "
Pas de réactions, c'est inquiétant !
S'apercevant que son légionnaire ne la suit plus que de loin, Moussemé se dit qu'il faudrait peut-être changer les rêgles (au risque de devoir bientôt jouer toute seule) :
" Le premier arrivé à l'oasis gagne des points et change le sens de la pousuite ! " annonce t'elle brusquement.
Elle file déjà, glissant aisément sur les dunes grâce à sa forme plus aérodynamique, le jeu est relancé.

Théoriquement, car avec ses deux énormes boules qui s'enfoncent dans le sable fin, Bled runner a bien du mal à suivre la véloce foufoune.

" Chameau ! " lui crie t'il enlisé ...

 

L'immobilisation.

Même s'il l'admet difficilement, la différence d'âge se fait sentir, la bougresse est bien plus rapide et endurante, en fait il ne l'attrapera que si elle veut bien se laisser attraper.
Le monsieur essouflé se fait cette remarque, il lui en a fallu du temps pour comprendre.
Au petit matin Lapin.Blanc.Rapide n'avait toujours pas rejoint Valentine, mais il avait les yeux rouges comme après une attaque de myxomatose foudroyante.
Par contre, il n'avait plus de cigarettes, il alla chercher dans la veste de son smoking aux parements sombres, il y trouva deux gros jetons de casino, un dans chaque poche.
Une délicatesse d'Oriane ... les bonnes manières c'est quelque chose !
Demain il pourrait aller faire la fête* à Cunuchon dans un vrai lieu, avec de vrais gens.
Tout un vrai programme.

* fête : Il n'a jamais bien compris ce que cela voulait dire, ni surtout ce qu'il fallait y faire.
Ayant un invincible penchant à s'ennuyer là où on est sensé s'amuser.
Heureusement, l'inverse est aussi vrai.

Avant de s'éteindre, il se tapa EREC, puis EJAC, et stand by Mimi ... enfin by Bibi car il est seul.
Mais point d' ORG, cette soirée n'étant pas vraie !
Et elle n'était pas finie car l'excitation du jeu lui avait fait raté le train du sommeil, et le suivant ne passerait pas avant un bon moment.

Après quelques inutiles girations dans la chambre vide, Bertrand sort un livre* de son sac, le choix est vite fait car il n'en a qu'un : " Les mécanismes de l'amour " par Laure Guasme.

* livre : Eh oui, Bertrand sait lire, et aussi compter, il additionne les maladresses et multiplie les erreurs avec brio.

* Guasme : Comme quoi il n'est pas rancunier, il a même acheté son bouquin.
Il s'y plonge avidement et en ressort tout mouillé.
De déception.

Il avait acheté la version illustée bien sûr, pensant que les images proposées le disrtairaient agréablement.
" Remboursez ! " marmonne-il en feuilletant nerveusement l'ouvrage : que des schémas, des graphiques et des mécanismes compliqués.
Chez lui c'est beaucoup plus simple, d'ailleurs rien que d'en parler ...
Pas une nudité, pas un corps ni un bout de chair fraîche à se mettre sous sa dent tardive.
Il repense avec nostalgie aux catalogues de lingerie féminine de son enfance, les incroyables gaines, bustiers, bas, jarretelles et pantys ... il aurait voulu tout commander.


Il est déçu et regrette déjà ses 24 euros quand il tombe (sans se faire mal) sur cette illustration :
Cristallisation en cours.
Il ne comprend ni le dessin, ni les explications, par contre il adore le mot.
Bertrand voit tout à fait le fonctionnement qui peut transformer un tout petit " évènement " (par la simple accumumation de couches de pensées souvent contradictoires*) une énorme structure toujours proliférante mais qui ne contiend presque que du vide.
Comme les atomes, paraît-il.

* contradictoires : Ce qui rend l'ensemble inextricable et imperméable à toute logique.

Nous sommes alors en pleine illusion (féerie ou cauchemar), en pleine élaboration joyeuse ou angoissée, en pleine cristallisation.


Et si on nous tape légèrement du bout des doigts, nous résonnons à l'infini.
Seulement une fois le processus enclanché, il est difficilement réversible.
Il n'y a plus alors que deux issues possibles : la sublimation* ou la fornication*.
Les deux, ce serait parfait mais ils semblent farouchement s'exclure.

* sublimation : Opération alchimique compliquée et dangereuse (plus d'un amoureux affolé a tout fait sauter) qui consiste à transformer notre agitation désordonnée en volonté claire.
En se saisissant au passage de l'énorme énergie que contiennent et dégagent ces réactions en chaîne.
Sublimation en phase finale : des petites bulles de sublime sortent par dizaines, ça n'a pas du être de la rigolade.

* fornication : Je ne vais pas vous faire un dessin, sachez qu'une pénétration (même symbolique) a toutes les chances de faire éclater la bulle ; en cela, c'est un vrai enjeu.
D'où les interminables négociations.

Une autre solution existe : l'isolation, qui demande cependant quelques travaux et aménagements.
Heureusement subventionnés.
Sinon on peut aussi pleurer jusqu'à la fin des temps, ça fait de l'eau en plus et on en aura bientôt besoin..
" Et l'amour dans tout ça ? "
Il est partout, appelons-le simplement énergie et on comprendra mieux.
Comme Bertrand n'a toujours pas sommeil, il décide de continuer son album de photos-souvenirs.
Ultime déception de cette journée décalée, presque toutes ses photos sont floues, bizarrement.
Disons artistiquement pour être gentil.

Bertrand tournait toujours en rond, des ornières commençaient à se former dans le plancher.
Soixante douze heures qu'il n'avait pas fermé les yeux, et il n'était même pas fatigué, juste très énervé.
C'est l'étrange pouvoir que l'électronique a sur lui (c'est malheureusement le seul).
Les premières lueurs du jour apparaissaient, il éteignit toutes les lampes plongeant la chambre dans une quasi-obscurité.
Comme lui.

Bertrand tourne toujours en rond, des ornières commencent à se former dans le plancher.
Soixante douze heures qu'il n'a pas fermé les yeux, et il n'est même pas fatigué, juste très énervé.
C'est l'étrange pouvoir que l'électronique (et le bricolage) ont sur lui ; c'est malheureusement le seul.
Et s'il consultait ses e-mails ?
Comme tous les trimestres*.

* trimestres : C'est une nouvelle rêgle, une promesse qu'il s'est faite il y a trois mois bien sonnés, et il va enfin la tenir.
Bravo.

Le garçon rallume l'ordinateur, naturellement sa boite est archi-pleine mais les poubelles virtuelles sont infinies ...
C'est impossible de répondre à tout ça, concentrons nous sur le site du Lapin.Blanc.Rapide :
Première constatation : il est bien fait.
Le site bien sûr, mais le lapin n'est pas mal non plus avec son gros noeud.
Et son retardateur, il est si rapide !

Il fallait le faire connaître, Bertrand se mit à vite écrire.
Il relut le texte de son annonce :
LAPIN BLANC PLUTOT RAPIDE ET SOLITAIRE RECHERCHE PARTENAIRES BIEN DISPOSEES DANS UN RAYON DE 50 KM AUTOUR DE CUNUCHON

Il avait maintenant deux bonnes raisons d'y aller, et la soirée n'était toujours pas finie.
Trouvant la formule un peu sèche, il ajouta :
IL AIME LE VELO (tout le monde aime le vélo), LA NATURE (pareil) LE HOCKEY* SUR GLACE ET L'HERBE FRAICHE (no comment !)

* HOCKEY : Ici peu de chances de tomber sur des amateurs de patinoire, on préfère de loin le hoquet sur place, bien ombragée.
" O.K, c'est pas mauvais ! " commenta l'auteur aux grandes oreilles.

Mais comme cela restait toujours un peti peu froid, il voulut se laisser aller, mieux, carrément se dévoiler* :
C'EST UN GENTIL LAPIN BIEN ELEVE

* dévoiler : C'est bien imprudent d'avancer ainsi à découvert ! "
Je prends des risques ... "
Il en était conscient et inclut vite ce petit correctif :
RENARDES TROP CRUELLES ET RUSEES S'ABSTENIR
Il supprima - ET RUSEES -, après tout il lui fallait accepter la réalité.

Puis il envoya tout ça au monde entier.
Tout en se disant qu'il y avait bien peu de chances pour qu'une réponse lui parvienne.
Une chance sur un milliard ... mais justement, nous sommes des milliards.
Voila, il avait jeté sa bouteille à la mer virtuelle, la grande toile bleue.

" Je vais couper la web-cam, ça fera plus intime ... "

Les internautes matinales (ou insomniaques) lui répondent déjà, c'est encourageant.
" Cher monsieur Tapin, ça m'étonnerait que vous soyez plus rapide que mon petit ami, si émotif. " from Annie Barre de Cunuchon même. "
J'habite à 51,3 km de Cunuchon seulement, quel dommage ! " regrette mademoiselle Depigeon.
Et à viol d'oiseau ?
" Mon ex n'avait même pas le temps d'enlever son pantalon, qui dit mieux ! "
Madame Frigidère de Chébrandt.
" Tout va si vite de nos jours ... " pensait Bertrand.

" Tiens, tiens : Les Lapines Vertes Agiles*, voila qui est intéressant, cliquons ... une, deux, trois connes-exions !
Direct dans le compost ... elles ont sûrement la main verte. "
Bertrand a envie de s'inscrire en vrai.

* Lapines Vertes Agiles : Qui pourraient (et même devraient) se reproduire avec Lapin.Blanc.Rapide.
Selon les lois de Mendel le résultat serait fulgurant.

" Ces filles ont l'air très naturelles ... naturelles. "
Comme lui.
" Dis quand reviendras-tu ? "
La longue dame brune.
Ce doit être une erreur ... en fait tout est mélangé.
" Je cherche à tout prix un stage sur l'élevage des animaux blancs, je vous envoie donc mon C.V ... etc "

 

" Le lapin, le lapin ! " lui envoie son fan-club.

 

" Pitié, à quand une réflexion intelligente ? "
signée Laure Guasme.

" Ah un monsieur nous écrit aussi ... qui aime bien les lapins blancs, voire grisonnants, un vrai buzz ... et si j'allais me reposer ? "
C'était les premières lueurs du jour, tous les oiseaux se mirent à crier, Bertrand étreint (pardon, éteint) toutes les lampes plongeant la chambre dans une quasi-obscurité.
Comme lui.

Aperçus

A Cyrosse, des cosses partout
Un beau râteau électronique
Mais toujours pas de pelles

 

 

 
Pour revenir à la page d'accueil